Claudine HELFT : L’Étranger et la Rose (Le Cherche Midi, 2003, 23, rue du Cherche-Midi, 75006 Paris, 110 p., 13 €)

Mais toi douce, si douce dans ta réserve de morte
morte en puissance après survie
[…]

Peut-être, en ces deux vers de son poème final, l’une des clés de ce très beau livre. Un livre que son auteur a dû porter en soi pendant de longues années ; on peut en juger par le suspens observé depuis la publication du dernier titre de sa grande trilogie, Le Monopole de Dieu (L’Âge d’Homme, 1996), dont nous avions alors essayé de rendre compte au numéro 1 de la présente série des Hommes sans épaules. Pourtant les thèmes reviennent, qui sont, comme l’annonce le poète, les plus simples, les plus éternels et les plus mystérieux de la poésie : l’amour, la mort, la vie… Une fois de plus est retrouvé l’Absent aux yeux verts, cet irrécusable aux yeux de mer à vrai dire jamais quitté, dont l’amoureuse et pérenne figure préside au dialogue des ombres. C’est lui qui n’a pas cessé d’être, c’est son intense fidélité que le poète reçoit et redonne en partage.

Et d’abord, à l’orée du livre, dans l’altitude de la prophétie, comme pour signifier l’au-delà de l’amour et de la mort, le saut définitif dans l’universel. Claudine Helft ne cesse, en effet, de prendre avec sa poésie un risque d’absolu (titre qu’elle avait donné à l’un de ses premiers ouvrages) :

Ami, ton âme est le lieu de la mienne
depuis tant de siècles, et nos poussières
ont essarté les étoiles des mêmes cieux.

Un élan se traduit ainsi : vers plus haut, vers le plus loin que recèle le proche, en rupture du temps :

la minute intérieure nous vêt
sur la brisure d’un temps fatigué.

[…]
je suis l’ailleurs de mon visage.

Et l’intime fréquentation de la mort aiguise d’autant le regard porté sur les vivants, comme aussi la mémoire laissée par ceux qui ont passé ; ainsi, dans cette évocation si émouvante :

Les roses en cerceaux atténuaient la rigueur du verdict.

Elle retiendrait la silhouette lente dans l’allée,
le blanc des cheveux, le bruit doux de la canne sur les graviers,
la gravité du visage levé vers l’arbre antique,
ce geste comme s’il voulait l’entourer ou le sculpter,
ce geste comme pour dire qu’il les aimait et qu’il s’en allait.

Il faut lire ce livre où l’absolu demeure l’ivresse de l’homme, où persiste un inaltérable espoir, branches érigées/ vers les cimes.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 17/18, 2ème semestre 2004)