Ces gestes en écho, de Mireille Fargier-Caruso, Paupières de terre éditeur.

Rares sont les poètes qui offrent à lire un itinéraire existentiel, celui d’une femme et d’un homme à travers le temps. Dans Ces gestes en écho, Mireille Fargier-Caruso trace avec émotion et parfois âpreté les grandes lignes d’une vie en commun tout en donnant le plus souvent la priorité à la femme. Par le biais d’une écriture sans effet mais d’une très grande densité, ce sont les difficultés, les espoirs, les attentes d’une femme qui sont mises en évidence. Souvent lorsque le présent semble trop lourd à traverser, le retour à l’enfance demeure comme un recours suscitant, avec le recul, des interrogations: «une déchirure / remonte à la surface / petite / sous l’escalier / elle se croyait à l’abri / de quoi ?». Certes aussi, et Mireille Fargier-Caruso le pressent, la vie en commun apporte souvent ses désillusions, crée des tensions, impose des distances. Ce que la prose aurait pu aisément expliciter, la poésie se contente de l’appréhender avec concision, de le formuler brutalement: «elle voudrait déchiffrer / avec lui des haltes / ne plus s’inventer de raisons / il court devant». Dès lors les drames qui s’ensuivent sont à la mesure de la douleur surgissant, entraînant la vision d’un monde impitoyable, dans une sorte de correspondance entre la réalité et l’état d’esprit de la femme. S’installe un décor dont les mots suggèrent la hideur mais toujours avec retenue: «des eaux stagnantes / du béton sec / des trous sur la chaussée / chiendent entre les pavés». Pourtant le regard de Mireille Fargier-Caruso ne s’en tient pas à cette mise en scène du tragique: si la solitude est là, l’espoir lui aussi s’impose avec ténacité, détenteur de joies: ainsi, l’amour, l’enfant bousculent ce qui pourrait être l’aveu d’un pessimisme radical: il suffit aussi de prendre conscience du monde pour ne pas céder à la défaite: «presque rien / petits cailloux semés / et qu’on retrouve / tout au long du parcours / l’eau du poème / où se désaltérer». Parfois, au fil de l’existence, les espoirs s’effondrent et ce n’est plus la voix de la femme qui prévaut dans les derniers poèmes, mais deux voix unies qui soulignent les méfaits du temps, les désirs insatisfaits, les souvenirs qui perdurent: «de leur passage trop rapide / ils gardent des îles sous leurs paupières / des chants inaboutis». La poésie se charge alors de gravité, d’une nostalgie que chacun éprouve au terme du passage et que nul mot ne parviendra à dissiper. C’est à ce cheminement pudique et sensible que Mireille Fargier-Caruso invite le lecteur grâce à une écriture éprise de justesse et aux ressources sans cesse.

©Max Alhau

(Note de lecture parue dans Autre Sud, n° 35, décembre 2006)