CHRISTIAN BULTING, VIEUX BLUESMEN, Gros Textes, 8 €.

La métaphore musicale du titre est une première entrée: le poète veut capter « cette modulation de l’existence dans le son ».

D’une manière plus radicale, comme biologique, l’on perçoit une rhétorique pulsatile, un allant, une allégresse qui se reconnaissent parents de Rabelais, mais aussi de Chaissac et de Dubuffet, frères de création et de poésie, modernes Arcimboldos.

Chaque poème, long d’une page sans césure, se déroule comme une auto-analyse accélérée, inspirée tantôt par l’humour et la tendresse, tantôt par l’autodérision, voire par une âpre amertume.

Souvent, de claires affirmations résonnent:

« L’amour pour seule morale j’ignore les autres
Celles de la peur de la convenance du déni
De soi de ce qui en soi vit vibre vibrionne ».

Les mots se pressent, qu’ils soient la sténographie des actions d’une journée, qu’ils entraînent dans leur sillage le monde et « nos existences vécues inventées écrites publiées », qu’ils captent l’engendrement du son et de l’image.

Le poète devient « une plaque sensible en éveil », se livre à la truculence, multiplie les arborescences de la phrase qui s’ouvrent un espace d’action et de découverte.

Le blues est la voix née du drame de vivre et qui veut aussitôt se transcrire sur le

«noir vinyle vierge de toute poussière ».

La pâte de ces poèmes est d’abord humaine: célébration de la femme, adresse aux « frères lumineux/ de mon île au centre du monde du septième ciel/ de l’amour », hommage au père d’une seule traite d’émotion. La vie court de l’enfance à l’au-delà dans une sorte d’effusion métaphysique.

Cette écriture est le chant, vital et triste, collectif et intime, par lequel l’existence se compare à ce qu’elle fut, déplore et célèbre, heureuse de pouvoir dégager, au bout du creusement, un noyau d’amour:

« la géante rouge qui roule dans le temps
lointain à nos yeux d’habitants de ce vaisseau
bleu où il fait bon vivre par une belle journée
avec au cœur l’ardeur de cette alliance ».

©Gilles Lades