Claudine BOHI : On serre les mots, Le bruit des autres, 2013, 10 €.

c’est ta parole// tu dis tes mots// ils sont dedans

Ce que montre ce livre avec la plus convaincante insistance, c’est que nos mots nous sont personnels à un degré tel que leur relation si étroite à nous-mêmes demeure le plus souvent insoupçonnable. Nos mots nous appartiendraient d’une façon quasi organique ou même physiologique, vérité logeant d’ailleurs immémoriale dans notre substantif, propre et figuré, « langue ».

c’est un bruit dans ma peau
qui insiste

qui lève
des silences

[…]

ce bruit
est mélangé de lèvres

il est aussi là
dans le ventre improbable

On voit bien pointer ici une contradiction, difficile à réduire, avec ce sentiment, répandu par l’intelligence et la culture – sans parler des pures conceptions de l’idéalisme –, de l’éminence d’un logos, de nature rationnelle ou d’essence divine. Mais ce qui s’impose en définitive, c’est une corporéité – si l’on veut bien nous pardonner ce terme d’école. La langue avec sa chair ne pouvait trouver en tout cas meilleur interprète que ce poète dionysiaque dont toute l’œuvre n’a cessé de tirer la plus vive lumière spirituelle d’une exaltation de l’énergie corporelle, sur les versants opposés de la joie et de la douleur.

le lit est liquide
la main
fait son bruit d’escale

[…]

le corps aussi
est un voyage

©Paul Farellier

Note de lecture in Les Hommes sans Épaules, n° 37, 1er semestre 2014.