Raymond FARINA, Fantaisies (L’Arbre à paroles, 2005, 56 p., P.N.I.)

Un livre étonnant et vraiment séduisant. Fantaisies que ces esquisses, nous annonce l’auteur dès le premier vers. Et pourtant ici la poésie, à travers un humour pratiqué avec l’art le plus accompli et une sorte de cruauté dans l’insistance, atteint à des profondeurs où ne parviendra pas tel ou tel recueil de plus « sérieuse » apparence.

De qui, de quoi s’agit-il ? De l’innommé, de l’incréé, mais certainement pas de l’impensé. D’un être d’omniprésence anonyme, frère invisible & insolent, universellement attentif pour voir mieux que [ses] yeux, pour écouter ce qu’on n’entend pas,

ici où il n’est pas venu
là-bas où il n’est pas allé
jamais venu jamais allé

Cet esprit, l’excès même de sa fiction lui confère une présence et une réalité quasi-douloureuses ; Diogène sarcastique, il fait descendre tout bas les Héros de la pensée/ des légendes & des péplums. Mais, qu’enseigne-t-il ?

Une éthique du presque
murmurée
minimale
chantonnée
musicale
une sorte de capriccio
ou mieux – de fantaisie –
bref une éthique fantomale

Peu à peu, à travers l’humble musique, se découvre, Kierkegaard aidant, ce que désespoir signifie. Ce frère serait donc moi-même, surtout si j’évite de le reconnaître, parvenu récemment/ à ce qui semble l’excellence/ dans l’art de l’inutilité.

Se dit
qu’il n’était pas poète
mais avait des ailes
invisibles
un don certain
pour l’indicible
un avenir
dans le silence

Le poète désenchanté s’est trouvé séparé de son djinn, une sorte d’Ariel/ fier d’avoir faussé compagnie/ à un barde qui n’était pas/ le Shakespeare qu’il espérait. Si l’œuvre se veut rien qu’une esquisse, elle se dit aussi accomplissement de l’échec. Et Raymond Farina, d’un seul sourire à la fois léger et grave de Melancholia, parvient à nous mener

vers le point
entre Vide & Plein
entre Tout & Rien

©Paul Farellier

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 21, 1er semestre 2006.)