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Dans ce livre, tout entier innervé de la présence/absence de sa compagne disparue, le poète, « guetteur d’éclairs et d’orages », poursuit son inlassable exploration « pour dissiper [s]es doutes/ pour accroître le parcours et négliger le terme » ; mais, cette fois, ce qui initie le parcours, c’est le malheur de « ce brasier/ qui consacra l’éphémère » :
Que sont ces territoires, envisagés explicitement, dès les premières pages, dans une perspective métaphysique ?
Il semble que le chemin spirituel emprunté par le poète prend ici une nouvelle orientation ; la lente approche dans l’espace médité, à travers l’hésitation et le tâtonnement, l’interrogation continuelle d’un sens, la poursuite d’une vérité fuyante, l’ont maintenant conduit à ce point auquel l’épreuve subie confère un caractère décisif : est-ce alors « la dernière étape,/ ce pont jeté/ entre deux infinis, une pierre lancée/ au-dessus du fleuve/ et qui disparaît/ au loin » ? Se découvre-t-elle enfin au cœur du plus sombre, cette « lumière » qui, jusque-là, s’était dérobée ? Augure-t-elle « des temps/ immémoriaux » ? Rien ne s’assure aussi vite, et le poète se reproche « encore une parole de trop », tant il se souvient « que toute perte l’emporte sur le gain » et que lui-même demeure « la somme/ de toutes [s]es incertitudes », mal pourvu du défaillant butin de la mémoire :
La première partie du livre (« Quelques mots qui vacillent ») se clôt cependant sur le souvenir d’une aurore, d’une « promesse d’éternité », sur le gué que l’on franchit, « vers des horizons/ lentement conquis après tant de marches. » Et c’est aussi d’une « terre promise/ pourtant jamais conquise » que s’initie la deuxième partie (« Quelques empreintes sur le sable ») :
Un lieu que l’on ne peut guetter qu’à travers un « surcroît de silence », et qui, à l’opposé d’un « autrefois » terni, se présente comme « à l’orée d’un pays/ aux terres inestimables » ; quelque chose qui fasse que soit « possible/ ce que l’on nomme commencement » et qu’« il ne subsiste rien de nos empreintes », forçant alors à constater :
Et c’est sans doute pourquoi les poèmes de la troisième partie (« En d’autres lieux, au jour le jour ») confrontent le poète à la beauté « fidèle » des paysages où se continue sa marche de « voyageur sans carte ni itinéraire » ; façon qu’il a de trouver dans « l’instant » ce qui « perpétue [s]on destin/ ses failles et sa disgrâce ». Au terme, est-il un seuil franchi, dans un temps « immuable » où « l’arbre et la pierre/ ignorent ce qui les assemble », de même que l’homme peine à « désigner ce qui se dérobe/ et dont l’attente seule/ comble toute impatience ? »
Un livre aussi pur dans la réalisation que dans l’intention, et d’une grande profondeur.
Paul Farellier
Note de lecture in revue Les Hommes sans Épaules, n° 42, 2nd semestre 2016.