CÉLINE VARENNE : La Couleur confisquée (Librairie-Galerie Racine, Paris, 1998)

Étrange éblouissement que celui de ce livre ! Confiscation de la couleur, soit, mais vécue – au sein du blanc secrètement habité de son spectre (porteur des rythmes septénaires) – comme épopée vers un invisible : celui du plus vaste assentiment, le oui en forme d’alliance/ […] le don d’émerveillement/ la vertu d’innocence.

Cela commence par une double allégorie : espace dialogué de la neige et du glacier, qui pourrait figurer comme un idéal d’amour à l’extrême pointe du monde :

ses doigts atteignirent
la lèvre de surplomb

[…]
des doigts aveugles
palpèrent le rebord de la vire

Une deuxième suite (Blanc sur la palette) organise, elle aussi, les fortes tensions d’un champ de dualité car c’est d’une rugueuse confrontation peinture-poème qu’elle se nourrit. Et le Peintre que de nombreuses pièces évoquent ici n’a nul besoin d’être nommé au lecteur qui, peu à peu, identifie les signes de sa présence : Paul Gauguin se devine d’abord (par la tonalité, l’invocation à l’originel, au primitif/ avec ferveur), puis s’affirme, se confirme « en clair », tout au long de ces pages de passion vigoureuse (par exemple par des citations ou reprises de titres connus : « Eh quoi tu es jalouse ? » ou encore « Christ jaune »). Mais d’autres peintres, très différents, peuvent, de loin en loin, s’entrevoir comme par des jeux de contrastes (Bosch sans doute, Ensor peut-être ?), et le poème sait aussi se pénétrer de la matière même de la peinture (encres, huile, toile…) et de tout ce qui, en même temps, fait son objet et son « écriture » : ainsi le nu est-il abondamment célébré au même diapason de beauté dans plusieurs poèmes et, entre autres, dans l’impressionnante cohorte des èves chassées de l’Eden (page 66).

La troisième partie, Blanc qui signes, porte encore plus haut l’ambition poétique, ce que reflète d’ailleurs le sous-titre : la force du verbe. (Tu m’appelles/ parole vive […] mes ailes d’ange me concèdent/ la joie pure). Le désir du poème pour la cime invisible/ par excès de lumière conjure les maléfices et les prestiges d’un monde désespéré, annonce la révélation, explicitement trinitaire, pour vivre selon l’amour/ avec tes compagnons d’éternité. L’horizon du texte, singulièrement élargi au point de se dissoudre dans une forme d’abstraction picturale, ombre du blanc/ sur le blanc, nous appelle au delà même des confins, des limites de l’homme […] dans l’être/ hors de l’être/ ciel et eau.

Le style, sans coquetterie aucune, à l’image d’une pente abrupte, demande des hardiesses de lecture. Un livre comme celui-là s’écrit par passion. Il doit se lire de même.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Le Cri d’Os, n° 31/32, 2ème semestre 2000, p. 138)