Dans l’hommage à Jacques Prevel (1915-1951), qu’elle a rédigé pour le journal Le Havre, du 6 juin 1951, Colette Wittorski, alors jeune agrégée de philosophie, et qui avait fait la connaissance de ce grand poète maudit en 1949, a écrit : « Il a été le prophète total du monde qu’il voulait. Sa souffrance était absolue et intolérable sous toutes ses formes : il survivait à sa force, il survivait à sa vie, follement lucide des innombrables raisons qu’il avait de désespérer. Sa révolte était absolue, et il déchaînait sa colère avec la plus stricte conscience d’agir contre ses intérêts les plus urgents. Sa haine aussi était absolue, et il s’acharnait sur la plus petite fissure, sitôt décelée, de l’amour qu’on lui portait. C’est pourquoi nul ne pouvait le rencontrer sans l’aimer, et pourtant nul ne peut se flatter de l’avoir assez aimé : son univers apocalyptique appelait la sainteté, il ne tolérait qu’elle ». Prevel était alors pratiquement inconnu, mais Colette Wittorski avait su pressentir, à travers le génie et la cassure existentielle de Prevel, que les enjeux de la création poétique ne pouvaient être assimilés à un exercice de style, mais à une quête impitoyable des abîmes les plus reculés de l’être. Colette Wittorski n’a jamais cessé d’entretenir et de cultiver son amour de la poésie et de l’écriture. Son premier recueil, Un bouquet de corde (éd. Librairie-Galerie Racine), a paru tardivement en 2003. On y trouve de beaux et forts poèmes, qui nous montrent à quel point l’auteur a retenu la leçon de Prevel : Ecrire comment – J’entends – Se répandre l’encre et le sang, tout en affirmant sa voix, qui ne triche pas avec la vie comme avec les émotions : Feu de terre – Ocre volcan – Cuivre cri – Désir – Tu troues la nuit – Du dedans. La mort, la solitude, le temps et sa valise de souvenirs, sont omniprésents : Plutôt casser le temps au cadran de l’horloge – Que subir son compte quotidien, et seul l’amour fait obstacle : Le feu est mon corps… Voici que désormais je marche sur la page blanche – Où s’écrivent tes pas. La poésie de Colette Wittorski puise dans le vécu : La force du feu – Forge son écriture – A la soudure du champ – Arc sans corde – Muet – Mon arbre flambe. Elle est donc souvent douloureuse, ce que confirme Une aurore boréale, son deuxième recueil, où le poète entend : Ecarter le deuil – Tourner la clef du temps, mais, bien sûr, sans y parvenir. Une poésie sans trompe-l’œil : Attirés par nos profondeurs – Les dieux se lèvent – Ils préparent – Nos gestes de demain.
©Karel Hadek
Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.