Gilles LADES : De poussière et d’attente (L’Arrière-Pays, Jégun, 2002)

La parole de Gilles Lades, belle et captivante dans ses états successifs, nous a faits témoins, sur plus de vingt ans, d’une lente évolution, comme un passage de cime en vallée. « Descente » si l’on veut, mais sans nul affadissement, sans rien d’appauvri : au contraire, la poésie la plus vraie ne cesse d’irradier ces livres qui nous parvenaient, nombreux et convaincants, de leur Quercy natal. À l’époque de Fonderie[Cahiers de poésie verte, 1991.]] ou des [Forges d’Abel[[La Bartavelle, 1993, Prix Artaud 1994.]] , prévalaient encore dans l’écriture un retrait essentiel, presque minéral, et par quelque côté, une rugosité souvent « héroïque ». Avec des livres comme Val Paradis[[Cahiers de poésie verte, 1999.]] , un intime pays se fit plus proche, ébloui de mémoire et tempéré d’humanité.

L’ouvrage qui nous retient aujourd’hui – de courtes proses très denses – se divise en trois parties dont les titres, de même que celui du livre, signalent l’assombrissement et l’entrée dans une phase angoissée : Souffle suspendu – Sous les nuages terribles – Soleil frêle. Le texte liminaire, que nous citons in extenso, donne le ton :

Tu voulais un homme mort, le voici. Il ne fait qu’écouter. Il a dérivé son lourd fleuve d’orgueil et de sang. Il est sur le bord du ravin, qui gagne au bout la lèvre du volcan. Il n’a plus de pays sur quoi mettre la main. Il a charrué les arbres à mémoire, les fleurs, si longtemps dans la mire de l’être.

Il salue qui s’approche, et partage le silence à même le regard.

Et ce sont tour à tour le deuil, l’oubli, les gestes rétrécis, la chute, l’effondrement au pied des grands abrupts de [l’]enfance, qui viennent nous hanter, avec le brouillard des fins de livres, fins de films, quand la chose est partie et n’a pas force de retour. Même les morts s’éloignent, les morts les plus durs, ceux qui faisaient encoche dans la vie.

Vers la fin du recueil apparaît une hésitation entre moi et l’adieu. Et le poète comprend qu’il lui faut bâtir, sur une terre usée à miroir, un nouvel invisible à l’exacte vue.

Une image pour clore ce livre désigne l’enfance – si souvent invoquée par le poète –, celle du cahier qui a traversé les mues solaires des greniers. Le poète s’en saisit et s’écrie : Je l’ouvre comme un volet sur le soleil frêle.

Comme pour faire écho à ce livre, un autre beau recueil paraissait simultanément sous le titre Lente lumière[[L’Amourier, 2002.]] : ce sont des poèmes mûris sous le même climat, dans le même deuil. On ne saurait trop en recommander la lecture, en parallèle.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 16, 1er semestre 2004)