Jean DUBACQ : Tous les absents possibles (Folle Avoine, Bédée, 2001)

Ces absents, Jean Dubacq les convoque et les réunit à l’instigation d’une émouvante épigraphe valéryenne, dont il a su non seulement goûter, mais aussi propager, magnifier et illuminer pour nous, de ses poèmes, la saveur et le sens premiers, la bienveillance un peu cruelle et l’humour mélancolique. Absents, les siens, qui sont aussi les nôtres dans la rumeur, parfois déchirante, de toutes nos mémoires rassemblées : le frère, la vie, le poème, l’ami, le temps, les amours, les morts… L’évocation se fait souvent précise, charnelle, puis la distance de temps et le mauvais automne viennent embuer le regard : Les flocons poursuivaient en vain les traces appauvries de tendres fantômes. Partout cependant, des images d’autant plus admirables de netteté et de pertinence qu’elles unissent, comme les surréalistes l’ont souhaité à bon droit, mais ici sans nul arbitraire, les réalités a priori les moins conciliables : le robinet pleure/ les petites carlingues/ des gouttes d’eau. Le poète nous offre même des esquisses d’allégories, parmi les mieux venues qui soient : Serions-nous des couturiers découpant dans le papier le plus fin des patrons de la personne humaine à pendre à quelque fil, à hauteur de souffle, pour que la moindre parole les agite d’un vent de brise ou de tempête ?

Le livre est à deux pentes : aux poèmes de toute une vie, qui composent la première montée, répondent à la fin, sous le titre Les tares héréditaires, les onze proses d’un second versant, jeu de miroirs doubles dans la mémoire et jeu d’échange entre jumeaux. Chaque souvenir personnel éveille la résonance qui lui sied vers un archétype homérique, mais aussi bien stendhalien ou proustien, et ceci – faut-il l’ajouter ? – sans la moindre révérence académique : avec naturel, les frontières s’effacent entre les mythes fondateurs et l’ample vécu de l’expérience.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 12, 1er semestre 2002)