Matière de nuit suivi de Eloge de l’éphémère, de Lionel Ray, Gallimard.

Pour qui voudrait connaître la démarche de Lionel Ray en poésie et plus particulièrement dans Matière de nuit, il lui suffirait de se reporter à la dernière partie: Eloge de l’éphémère, suite de réflexions sur l’exercice poétique. Au départ, ce qui fonde le travail de Lionel Ray, c’est avant tout la thématique du temps propre à tout homme mais qu’il évoque en des termes exempts de banalité, un temps qui est surtout celui de l’éphémère, «mais aussi il y a de l’inépuisable dans cet éphémère: c’est cela qui est ma visée, l’émotion de l’éphémère», écrit Lionel Ray. Précisément l’émotion domine dans ces poèmes, une émotion alliée à une expression lyrique, grâce à un vocabulaire simple mais combien élaboré, faisant alliance avec les paysages, les éléments. Ce rapport au temps constitue souvent une quête, celle du passé, d’une jeunesse dont le rappel est comme l’espoir d’un retour: «Ah ! si nous nous retrouvons un jour / Par un tiède après-midi d’avril ce sera / Pour nous habiller à la hâte et partir, très loin / Dans la merveilleuse gratuité du silence». D’où cette recherche d’une transcendance du temps avec pour fond une réalité que les mots véhiculent et qui demeure avant tout construction d’un univers intérieur. Pourtant n’est-ce pas l’absence, l’oubli que les mots désignent dans cette perspective de retrouver ce qui n’est plus ? Par le biais d’un vers ample, d’images qui suggèrent cette errance dénuée de pathétique, Lionel Ray souligne ce constat de faillite: «Tu cherches l’horizon et ne trouves qu’un mur, / Le poème est sans pouvoir tout chemin inutile, / Des mots il ne reste plus que ces traces de suie / Sur tes mains trop lourdes tes mains inacceptables». Toutefois il affirme son souhait de construire le poème qui, comme la vie, serait une continuelle naissance. On constate dans de nombreux poèmes un double cheminement partagé entre la lumière et l’ombre, la solitude et l’amour dont il célèbre dans des vers très brefs la présence et les pouvoirs. Cet appel à l’autre qui est un peu lui-même apparaît comme un chant lyrique parfait: «Tu es du temps qui s’accumule / Ma terre simple / Mon livre d’avant la vie / La grande leçon du crépuscule / Ma rive mon château dormant». Mais pareille rencontre n’en rend pas moins criante la solitude que l’écriture n’atténue pas: «La vie / Ne m’a pas grandi / Je reste seul / Extrême / Là sans y être». Aussi dans cette prise de conscience n’est-ce pas vers un ailleurs que se dirige Lionel Ray ? une terre qui signerait son passage, où il rappelle la fugacité de toute existence, où tout être est: «Corps de brume plus léger qu’une / Trace comme une / Preuve que rien n’efface».

Tout au long de ce livre, le plus accompli sans doute de son auteur, où la force de la pensée s’allie à une écriture volontairement simple mais d’une densité, d’une richesse exceptionnelles, s’élabore un itinéraire que chacun de nous emprunte et dont Lionel Ray retrace les principales étapes. Ajoutons que sa conception du temps, de la vie rejoint celle d’une philosophie orientale qui débouche sur le nirvana, c’est-à-dire le rien mais consenti, auréolé de toute la beauté qui le précède et qui donne son prix à une poésie qu’éclaire une lumière intérieure constante.

©Max Alhau

(Note de lecture parue dans Autre Sud, n° 28, mars 2005)