Périple et détours, de Roland Reutenauer, Rougerie.

Conçu comme un triptyque, le recueil de Roland Reutenauer se présente sous la forme de carnets qui mettent en évidence deux thèmes majeurs : le temps et les mots. A partir de ces deux notions s’élabore une poésie de l’intime où la réflexion côtoie la description de différentes réalités. C’est sur une période douloureuse que s’ouvre le premier volet dans lequel les poèmes offrent un aspect tragique pourtant tempéré par la pudeur d’une écriture qui se contente d’allusions. A travers elles, le temps dans sa présence insidieuse souligne la détresse vécue : De quel temps / les heures de cette journée / quel temps qui se disloque / à creuser les heures / à creuser l’abîme, interroge Roland Reutenauer. Dès lors c’est à l’instant que s’en réfère le poète et auquel il voudrait lui conférer valeur d’éternité, parce qu’il refuse à la tragédie de s’imposer et que demeure l’espoir à venir: dissuadons les pommiers / de fleurir dans l’hostile : cette brève formule en dit assez pour comprendre quel sentiment anime Roland Reutenauer. Mais le temps, sous d’autres latitudes peut revêtir une autre signification. Dans le  » Carnet javanais  » où la réalité devient motif à écriture, immergé dans une autre civilisation Roland Reutenauer constate combien le temps n’est qu’illusion : bouddhas combien sont-ils / à tenir tête aux cendres / forts de la nonchalance des sèves. Références au temps certes, mais les poèmes extraits de ce carnet sont aussi tournés vers des images exotiques, sources de réflexion pour l’occidental dépaysé et Roland Reutenauer, prenant conscience de ces différences, peut écrire : Figé au bord d’une rizière / à l’heure du soir un palmier / redonne leur plein sens / aux mots solitude énigme. Précisément les mots constituent pour Roland Reutenauer ce second thème. Ils apparaissent comme l’exacte traduction de son moi profond : nulle possibilité de se soustraire à leur emprise, pas davantage de leur accorder un pouvoir mensonger. Ils demeurent témoins et acteurs de ce que le poète éprouve : ils mesurent chacun de nos gestes / à l’aune de leur absence. En d’autres circonstances ils se font les interprètes de l’espoir qui n’abandonne jamais celui qui se livre à eux. Ce sont ces mêmes mots qui permettent au voyageur d’aborder la nouveauté, de se porter vers les autres, d’évoquer les scènes qu’il contemple, de les délaisser parfois quand plus rien ne contraint le poète à l’écriture : se passera de mots ce qui se trame / entre le jour et moi son ami / à mille lieues de mon ombre / ordinaire et les poèmes sceptiques. Toutefois les mots, la poésie sont pour Roland Reutenauer une manière de côtoyer la réalité, celle de la nature proche, ou de se fondre à elle, le poussant à déclarer : je cisaille les orties / et les ronces du talus / mon poème éparpille ses mots / dans les herbes. De là cette vertu qu’offre le poème de faire corps avec l’espoir et de se poser en sauveur de la journée. Dans Péril et détours, chaque poème dépourvu de ponctuation permet aux mots de couler, à l’image du temps dont nous avons dit la prégnance. Cette écriture fluide entraîne le lecteur dans la compagnie de Roland Reutenauer, poète de la pudeur au regard toujours porté sur le monde et transfiguré par l’écriture.

©Max Alhau

(Note de lecture parue dans Autre Sud, n° 37, juin 2007)