Sylvie FABRE G., Quelque chose, quelqu’un – avec un frontispice de Frédéric BENRATH (Éd. L’Amourier, Route du Col St Roch, 06390 Coaraze ; 60 p.)

Voici un poème des saisons parcourant le cycle entre deux solstices d’été : une nature omniprésente, sans que rien ne glisse au descriptif – pas même le lac, dont le compagnonnage assidu n’est qu’une lueur tout au long du livre. C’est, dirait-on, la substance même d’un temps zodiacal qui, en quelque chose, se vit, se respire, se parle, – et aussi en quelqu’un. Dans l’intimité d’un regard réciproque, le réel imprègne la personne, et au réel, en retour, la personne s’infuse jusqu’à sa suprême élision : là, nous semble-t-il, en dehors des qualités de son écriture, la principale réussite de ce livre. Ainsi au seuil de l’été :

Le regard indivisible unit l’ici et l’ailleurs, ramène le corps à la matière, pas d’effacement possible, au hasard des ombres, au gré de la lumière il verse la sève, irrigue les choses de part en part : pourras-tu les pénétrer ?

Le vécu d’une saison n’a jamais seulement l’épaisseur de son temps : l’été partage l’intime passion humaine, chacun revêtant les couleurs obscures de l’autre :

Tu relies et le temps et la tombe et ce lac gisant de silence. Il t’envoûte, tu prononces son nom de derrière la mort. La mémoire résonne. À l’orient la blessure souffle son bleu noir dans les branches.

Puis les splendeurs du travail automnal, où nous lisons la montée de la mort, forment le processionnal de l’embrasement, de l’ardente dissolution, et les sous-bois le périple où se figent les ombres ruisselantes. La brume prend ses quartiers dans l’âme :

De plein fouet la brume t’arrime en explosions de silence, elle t’enveloppe dans le chagrin : tu prends refuge. L’amour est fin liseré, le temps brode son alphabet – profonde croix – la forêt n’est plus que jonchée, les feuilles, ton cœur se brisent dans un bruit de pas.

Mais c’est à l’hiver qu’il appartiendra d’offrir sa floraison : la neige comme sérénité, couvaison, berceau. Quelque chose d’arrêté, un intervalle aux aguets, le désert où s’éveiller à soi-même :

Le temps oublie les bruits du monde, il offre des cristaux d’éternité à l’âme passante. Tu prends la plume de l’oie sauvage pour écrire une histoire couleur d’énigme,

pont invisible entre la rive et l’autre rive, entre quelqu’un et quelqu’un.

Et le printemps ranimera cette certitude : nous grandissons malgré l’éternité de l’ombre. Le cycle des saisons, grande métaphore de nos intermittences, se referme en ouverture lumineuse :

Tu respires, quelque chose existe. Juin bascule dans l’été. C’est le mois où le tilleul verse son grand calme. Le lac murmure la présence. Quelqu’un ?

©Paul Farellier

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.