Jehan DESPERT : Roscoff, escale pour Tristan Corbière, illustrations de Louis Pors (La Lucarne ovale éditions, 2008 ; 24 pages, 6 €)

Jehan Despert, le poète et Louis Pors l’illustrateur ont réuni leurs talents autour de ce personnage énigmatique entre tous : Tristan Corbière et la ville de Roscoff qu’il hanta et qu’il hante encore aujourd’hui. On a tout dit sur Corbière et Les amours jaunes, on a tout chanté, mais le livre que l’on nous offre ce jour est de ceux que l’on feuillette la tendresse au cœur et la reconnaissance au bord des lèvres. Les textes de Jehan Despert sont de ceux que l’on souhaite pour saluer le « bossu bitord » et les dessins de Louis Pors créent le décor magique de ce destin hors du commun. La longue pipe au bec ; – les mots que tu préfères – ont ce goût de varech – traversé d’un enfer. En quelques vers, tout est dit, avec en prime, la chaleureuse connivence d’un poète à qui l’on doit une quarantaine d’ouvrages poétiques. Cette rencontre avec Tristan Corbière, sous le signe de la fraternité marine donne à Jehan Despert l’occasion de pénétrer un milieu, celui de la mer qui, pour être souvent pathétique n’en devient pas moins un potentiel vital de belle humeur que les nombreux dessins (couleur) soulignent avec un éclat particulier. Plus explicite qu’un essai, plus significatif qu’un « portrait », ce livre invite à une profonde connaissance de l’œuvre de Tristan Corbière tout en demeurant léger, fraternellement ouvert sur la création d’aujourd’hui.

©Jean Chatard

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 26, 2nd semestre 2008)

Jehan DESPERT : Mythe et oblation de Marge (Editions Gerbert, 2006 – portrait de l’auteur en frontispice de l’ouvrage par Jean-Michel Dexpert)

On ne peut que demeurer confondu par la lecture du dernier livre de Jehan Despert. Il constitue sans aucun doute un apogée dans sa création. Souveraine (le mot n’est pas trop fort) est cette vaste composition qui s’offre et s’impose à nous tel un fleuve incandescent de laves verbales. Notre conscience, mise aussitôt en éveil, n’a pas même le temps d’appréhender cette succession d’images, de visions, que nous propose l’auteur, que déjà tout se déforme, se décompose, se recompose, se métamorphose pour atteindre le seuil de concrétion du poème et se figer dans le silence de la page violée.

Certes, l’usage de l’alexandrin blanc, savamment maîtrisé, où sont finement exploitées toutes les ressources de la prosodie, ajoute à la majesté et à la belle unité d’une œuvre qui ne compte pas moins de trente-huit pièces de plus de vingt vers chacune.

D’entrée, il apparaît assez dépourvu de sens que de vouloir s’attacher à une analyse qui se révèlerait vaine et quelque peu dommageable, tant ce grand texte s’y dérobe par sa polysémie, son symbolisme multiforme, ses avatars et les fulgurations d’un imaginaire où sensations, émotions, sont en perpétuel mouvement et se fondent dans un maelström d’images où chaque détail de la vie profondément vécue impose son urgence et son évidence face à sa tragique désagrégation. Les paysages traversés, contemplés par le regard attentif du poète se font alors détenteurs de son éphémère passage, fixant cette complicité silencieuse qui unit l’homme à la nature, cette autre création d’une main invisible.

Qui est Marge ? Beau symbole où chacun peut trouver son compte. Serait-elle celle qui étanche la soif d’absolu du poète ? Serait-elle une Béatrice le guidant dans sa nuit, lui, toujours en proie à ses tensions conflictuelles, entre la chair et l’esprit, à la recherche de son Saint des Saints, de son Graal personnel, tentant de réconcilier dans sa conscience déchirée, pesanteur et grâce afin d’atteindre le point oméga de son être où tout se résout dans l’Unité et bat au rythme copulatif d’un cosmos sans cesse en devenir ?

Oui, une œuvre puissante que ‘Mythe et oblation de Marge’. L’érotisme, cher à Jehan Despert, se fait ici, plus que jamais, voie de connaissance totale, incarnation et désincarnation – oblation – hissant au niveau du mythe chaque instant de chair goûté comme un fruit du péché originel indissociable de sa saveur de vie. Le poème deviendrait alors cette Marge cathartique où s’opère la transsubstantiation, où notre questionnement, empreint d’une légitime révolte, celle qu’engendre notre invalidante finitude, trouve un fugitif apaisement, dans les noces du corps et de l’âme, face à l’immense inconnaissable. Je songe ici à ce qu’écrivit Maurice Druon dans son remarquable livre La Volupté d’être : « Qu’est-ce que ce Dieu qui soi-disant nous crée à son image et garde pour lui l’éternité ? »

De ce même constat participe ce qui suit, prouvant que le poète Jehan Despert ne se prend pas à son propre jeu de re-construction et constate amèrement : « Toujours cette béance au centre de l’icône / Où le poète cherche une autre guérison. / A quel Dieu vainement imploré doit ce vide / D’être où l’Etre s’enfonce à moins que s’y noyer, / Et qui prononcera le pardon face au ciel, / Quand il s’agit de vivre avec ces larmes dures / Exigées en rançon d’un jour de délivrance ? »

©Jacques Taurand

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.