Abdellatif LAÂBI : Œuvre poétique 1, Préface de Jean-Luc Wauthier, 452 pages, 30 €, (La Différence, 2005)

Si son œuvre est plurielle (poésie, romans, théâtre et essai), Abdellatif Laâbi est avant tout poète. Un poète majeur de notre temps, que l’on ne peut pas réduire à la poésie arabe ou francophone contemporaines. Laâbi est un poète universel. Ce premier volume de l’œuvre poétique de Laâbi (qui est né en 1942 à Fès) a pour noyau les poèmes écrits en prison, avec, en amont, Le Règne de barbarie et, en aval, ceux qui montrent que les traumatismes et les révoltes ne s’apaisent pas quand enfin on ouvre au poète les grilles de la prison, écrit Jean-Luc Wauthier.

Fondateur de la revue Souffles (1966-1972), qui s’engagea très tôt et énergiquement dans un processus de renouveau littéraire et culturel au Maroc, et dans tout le Maghreb, Laâbi sera arrêté et condamné à dix ans de prison en 1972, en raison de son engagement social, humain, et de ses écrits jugés subversifs : je t’insulte – règne de bouledogues – citadelles policières – de matraques à mon peuple. Il sera libéré huit ans plus tard, avant de s’exiler en France en 1985. Cette expérience traumatisante pèse lourd dans l’œuvre comme dans la vie du poète : Soulève ta douleur et marche. Il faut lire les lettres poignantes des Chroniques de la citadelle d’exil (La Différence, 2005), qui sont autant de cris : Si nos voix se rencontrent c’est au niveau du cri, cris d’amour aux siens, à la liberté, mais également contre les marchands du désespoir. Car, comme l’écrit le poète : Rien au monde – ne pourra t’obliger – à plier le genou – renoncer – à ton identité humaine – Ne mesure pas ta force – à la balance de tes bourreaux. Dès lors, plongée dans les profondeurs de l’être et de l’inconscient collectif, la poésie de Laâbi n’a jamais cessé d’exercer une grande influence sur la poésie marocaine contemporaine, à laquelle le poète a consacré une remarquable anthologie : La poésie marocaine de l’Indépendance à nos jours (La Différence, 2005). Pour Laâbi, la littérature doit avoir pour fondement la réalisation de l’adéquation de l’homme avec son œuvre : N’écris pas – n’écris rien – avant de sentir monter en toi – et du plus loin de tes racines – la sève du chant. Laâbi est davantage un homme de l’être qu’un homme de lettres. Il écrit dans l’urgence, à hauteur d’homme, avec des mots coups de poing, des mots coups de sang, mais aussi des mots tendresse. Son langage délie les interdits, et ses métaphores visent juste en expulsant tout ce qui n’est pas la vie : Je n’ai jamais cessé de marcher – vers mes racines d’homme – sans sourciers, sans boussole – sauf ma colère puisée dans le poumon du peuple – et les clameurs inédites de l’histoire – sauf mes yeux – n’ayant rien perdu – du désastre des ruelles – et de la rareté du pain – J’avais mal à mes racines – mes yeux – scrutant le cimetière de la horde – l’itinéraire de fulgurances.

©Christophe Dauphin

(Note de lecture in Poésie 1 / Vagabondages, n° 50, juin 2007)