Alain LACOUCHIE : IL OU L’AUTRE. Encres Vives, n° 242.

Avec ce recueil, Alain Lacouchie taille plus que jamais dans le vif des mots : un personnage s’y dresse, « ensanglanté de sa lumière ».

À travers la fiction du « il », le poète avance sur les plaques mouvantes du destin, se heurte aux strates cruelles du monde et de ses propres désirs contradictoires :

« oscillant des pulsions en son autoportrait ».

La lucidité, l’auto-dérision (« renard plutôt que hérisson. Et visible, pourtant »), estompées sur fond de mémoire découragée, peuvent se muer, rageusement, en un baroque fuligineux :

« Il est chat noir au radoub de ses propres routes. »

Sans cesse la romance et la furie se juxtaposent, non sans quelque aveu de lassitude :

« Il en a assez d’abrasifs et se battre ».

Suffit-il au poète d’être le « dramaturge infime » des affres et des écroulements ? Pendant que persiste un rêve de Sud, que s’évapore « la femme d’encens ». Et que surgit la tentation, pour une poésie si âpre et si concrète, d’abolir le combat :

« Laissez-moi fuir l’attente jusqu’au silence ».

©Gilles Lades

in revue Friches, n° 66, printemps 1999.

Alain LACOUCHIE : LES RAPACES, éd. Hautécriture, 1992.

Des rats diversement soumis à des décharges électriques : voilà ce que nous sommes, nous dit Alain LACOUCHIE. Et cela dans un enfer de contraintes :

« Couloir d’ordre / antiseptique »,… « danger d’angles droits »,… « rythme des pistons et des sirènes / dans le pouls des ordinateurs ».

Le dernier poème pourrait d’ailleurs tout aussi bien servir d’exergue :

« Rouge et cendres / c’est la guerre. / Rats et sang / c’est la guerre, la rage et le soufre ».

Dans cette forge à satires — et chaque poème en est une, contrainte au fantastique : « Ces notables boursouflés et écailleux crachent », — dans cette fresque d’un pessimisme violent, l’homme est mis à l’épreuve d’une universelle centrifugeuse, comme s’il devait épuiser toutes les formes de l’abjection pour espérer — un jour — renaître :

« des hyènes sardoniques broient la mort des amoureux
en branches d’ébènes,
et l’anodine poussière de leurs cadavres
est désagrégée par la sauvagerie des canons militaires
».

Les rats, inspirateurs et acteurs, envahissent impitoyablement cette parade rimbaldienne et goyesque, maculent toute l’œuvre humaine, économique, politique, artistique.

Le négatif, seul sur la scène, entre un Sisyphe dont « l’escalier n’a pas d’écho » et une Venise absolument décadente, traduit par sa seule insistance l’intuition de ce qui aurait pu être ou pourrait être. De cela, pas d’aveu, si ce n’est, en filigrane, des mots plus tendres : « entrailles d’absences », ou un regard d’affection sur « des ouvriers élimés d’indifférence ».

Et, le livre refermé sur cette voix rauque, revient le mot de Rimbaud : « Le poète, horrible travailleur ».

©Gilles Lades

in revue Friches, n° 43, été 1993.