Gérard LE GOUIC : Une heure chaque jour, Écrits des Forges, 2012.

Il n’est pas si fréquent qu’une poésie vienne offrir plaisir de lecture sans exiger en échange effort de lecture. Or, c’est bien cette rare faveur que nous réserve chacun des livres de Gérard Le Gouic – on en peut compter aujourd’hui environ trente-cinq, en se limitant aux seuls ouvrages de poésie. Et ce n’est pas que l’auteur cède jamais à la facilité ; mais il a ce don, sans doute inné, qui permet d’atteindre la cible avec spontanéité, simplicité, fraîcheur.

Avec Une heure chaque jour, Gérard Le Gouic adopte une optique rétrospective, réunissant dans une chronologie à rebours, tout d’abord des Inédits de 2009, puis, en remontant les années, des poèmes extraits de plusieurs recueils : La Belle lumière (2006), Le Guetteur sans consignes (1990), Les Bateaux en bouteille (1985), L’Ossuaire de sable (1975), enfin Poèmes de mon vivant (1973). Cette plongée du poète en soi-même – l’œuvre n’est-elle pas plus vraie personne que la personne ? – nous permet l’approche renouvelée d’une poésie qui nous parle si directement que l’on se sent gagné par un sentiment de fraternité sensible, sans qu’il s’y mêle, à aucun moment, la moindre trace de sensiblerie. Et l’on se dit aussi que l’auteur n’aura pas manqué de se sentir « instruit » lui-même par ce regard sur un pan de son ouvrage : le créateur a besoin, parfois, de reprendre contact avec ce qu’il a produit, non pour s’en inspirer – on ne tire rien d’un livre achevé pour un livre à venir – mais pour s’y assurer modestement d’une continuité de jeunesse. N’est-ce pas ce qu’expriment, avec charme d’humour, les vers suivants ?

À chaque poème je m’accorde
encore dix ans pour devenir un poète
et redonner à la monnaie des mots
sa brillance au sortir du feu,
sa gaieté dans une poche d’adolescent.
Les verbes répondront alors à ma voix
comme les merles en hiver
aux graines sur le rebord des fenêtres.

À des moments, le poème laisse poindre plus que de la jeunesse ; c’est l’enfance qui jaillit – et l’on comprendra qu’un lecteur puisse être d’âge et de tel destin à y retrouver la sienne propre :

Dans le Paris de mon enfance
apparaissent des boulangères
aux bras chauds et roux comme le pain,
des vitriers qui portent
le monde à l’envers sur l’épaule.
[…]
Dans ce Paris sans pleurs
[…]
on coud la liberté dans les doublures
et des étoiles de détresse
sur les blouses vides, sur les vestes.

Entre cette enfance et la vieillesse, le passage est bref – même si tout aussi long que le monde. La mort s’apprivoise dès les premiers livres de notre poète qui l’aura nommée « l’âge de l’avenir ». Il y sera comme

un arbre plus vieux que tout,
abattu sans raison apparente
sinon qu’une hulotte en trop
sur une branche se sera posée.

Un jour vous me ramasserez
tel un oiseau mort dans une gouttière,
un oiseau qui a perdu l’air
comme on perd pied dans l’eau.

Dans ce recueil discrètement anthologique, la profondeur voile sa vraie présence dans le sourire, et le sourire, familier, s’en trouve à son tour voilé.

©Paul Farellier

Note de lecture in Les Hommes sans Épaules, n° 35, 1er semestre 2013.