Suzanne LE MAGNEN : Le Pain de ma lampe – (Préface de Jean Joubert – Éd. du Soleil Natal – Collection Nouvelle Tour de Feu – Mai 2004, 98 pages : 10 €)

Dans sa préface, Jean Joubert nous éclaire sur l’itinéraire poétique de Suzanne Le Magnen de même que sur l’évolution de son style dont les variations sont perceptibles au fil des cinq parties qui constituent le recueil. Il a raison, en conclusion, de souligner que c’est une ‘voix juste et sensible qui nous parle (…) pour l’émotion et le partage’. On se sent immédiatement en bonne compagnie avec cette poésie qui se garde de ‘poser’ mais pose des accords authentiques, ceux du ‘cœur émietté de sa lampe’ de femme et de poète. La lampe, symbole riche est ici associé au pain – deux vocables qu’avait su marier Eluard – et dont Suzanne Le Magnen nous donne plusieurs déclinaisons à partir de ce qui pourrait être son Art Poétique : Le pain de ma lampe (p. 21) : « Je voudrais que ma poésie / ait la franchise d’un coup d’aile / la confiance de la maison / suspendue le soir à la lampe…». L’enfance évoquée, son « Galop perdu dans ma mémoire… » ce rêve enfoui dans son ‘grenier’ personnel, le poète se questionne : Qui es-tu ? Janus ? (pp.14 – 15) prenant ainsi acte et possession de son double visage : « … quelle est la femme qui écrit / quelle est cette autre qui regarde / tomber les graines de ma lampe… » Consciente de sa mission de poète elle va donc poursuivre son interrogation mais, cette fois, au plan de la création, de son mystère et de ses avatars : « J’ai pour faire tourner le fuseau du langage / délivrant mes pensées comme un peuple d’oiseaux / des mots au cœur noueux patinés par l’usage… (…) … la maison appareille à la moisson montante / avec son feu qui bat pavillon sur ma main ». (On ne peut, ici, s’empêcher de songer au célèbre : ‘J’appareille tout seul vers la face rayonnante de Dieu’, de Cadou.) SLM va donc nous faire participer à cet obscur et ingrat combat avec la page blanche : « Parfois le fil se tend / le bouchon plonge / la tension du fil me traverse / je lutte pour remonter / l’ange ferré à l’hameçon / Le fil se rompt / L’ange replonge en ses eaux-mères… » Certes on n’accouche pas toujours ‘du dieu Pan’, fait-elle remarquer, mais il y a tout de même, poursuit-elle, ‘des jours de grâce’. Ainsi ces petites réussites : « Je trime dans les ports à débarder mes ombres / Je fais escale dans tes yeux ». N’est-ce pas en effet le but de tout poète, de faire un instant escale dans les yeux du passant-lecteur ? Ou encore : « J’écoute dans mon sang / le tambour de la terre / J’incube la musique / les galops de la pierre… (…) … sur l’autel où la voix / vient promulguer l’éclair… (..) … Dans le pain le blé / a fait son chemin ». Je préfère personnellement ces petits chemins – plus proches de la voix ténue, compacte, d’un Louis Guillaume – que certaines métaphores, quelque peu émoussées, faisant partie de la panoplie d’un ‘merveilleux’,
d’une chevalerie de carton-pâte, d’images-chromos, d’un Graal en cristal d’Arques où fusent à l’excès les vocables ‘étoiles’, ‘fables et chantefables’, ‘galops’, ‘sirènes’, ‘coups d’aile’, etc. À la manière
discursive, parfois trop narrative du poète, je préfère la forme ramassée, celle des poèmes de la cinquième partie : ‘Un pas vers la lumière’ : « … /et que le marbre se déroule / et se met à transpirer / aux commissures des lèvres / comme lys à travers la peau » ou : «Toute écriture est une colonne en marche ». De bon ton, également, ces textes où le poète manie l’humour-dérision : « Il faisait beau sur la planète » : « Dieu lui-même en tablier bleu / qui de l’autre côté du zinc / d’un coup d’éponge magnanime / effaçait toutes les ardoises » ; ou encore l’apesanteur chagallienne de : « Photographie d’une vie » : « De la fougue du champagne / gicle un petit violoneux / qui propulse dans la danse / cavaliers et cavalières / la mariée flottant au vent / en haut du mât de cocagne » Oui, le meilleur de Suzanne Le Magnen me paraît résider dans ces pièces brèves comme « Faire front » : « … tu cherches au fond de toi / dans le noir affouillé / le feu qui te recentre / À travers pulpe et peau / le noyau irradie / tout l’obscur à brûler / dans le fruit qui se forme ». Là, à mon avis, se trouve le meilleur pain de sa lampe.

©Jacques Taurand

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 20, second semestre 2005)