Pierrette MICHELOUD, Du fuseau fileur de lin (Éd. Monographic, CH-3960 Sierre, Suisse, 2004 ; 96 p., p.n.i.)

On ouvre ce livre comme une fenêtre au printemps. Voici que, tout à coup, l’humain aurait retrouvé, même dans sa douleur, comme une sève d’enfance, de longtemps oubliée. Une voix claire nous aurait soudain transportés dans une de ces Arcadie que nous aurions cru pourtant ne plus mériter : séjour d’innocence et de bonheur, parenthèse inespérée pour nos aujourd’hui si lourds !

Et, de fait, le temps ne sépare plus les poètes : la moderne, en invocation, renoue le fil de lin au fuseau de l’antique Erinna, non par désœuvrement futile mais selon son goût de lumière, qu’elle exprime en exergue non sans gravité – la quête d’enfance est un jeu grave :

Me riant des modes
J’ai œuvré à déliter le verbe
En sa mémoire de pierre
Y cherchant des éclats de cristal
D’avant la première mort.

Tout au long des six étapes de ce voyage, dont la première donne son titre au recueil, ce qui frappe et séduit avant tout, c’est une grâce de la parole, parfaitement originale dans le paysage poétique contemporain. Peut-être quelque chose de léger, d’aérien, est-il mieux à même de nous dévoiler, par musique, même le plus redoutable :

Où êtes-vous, chers visages
Qui chantiez
Dans les myrtilliers ?

[…]
Mais loin déjà, le regard
Creusé d’immensité vierge.

On goûte ici une étonnante fluidité de la métrique, presque partout dominée par le vers impair (le plus souvent, pentasyllabe et heptasyllabe, qui sont les vers du haïku et du tanka – et d’ailleurs, six tankas figurent au recueil). Dans l’esprit, un vrai plaisir des sens ; ainsi dans ce poème intitulé Reconnaissance à la pomme :

De la racine à la fleur
De cette fleur à la pulpe
Ma reine des fruits
Mon ambroisie de mortelle.

[…]
Pomme, suave rondeur
En ta chair nacrée !
Eclat d’un sein, au réveil.

Comme dans tous ses livres, l’auteur, au delà des séductions du style, ne manque pas de nous conduire dans les arcanes d’une philosophie personnelle entièrement en recherche de l’unité perdue et de l’Eve originelle. Sur la couverture de ce beau livre, elle nous fait don également d’une précieuse peinture figurant le fuseau d’Erinna.

©Paul Farellier

(Note de lecture, in Les Hommes sans épaules, n° 20, 2nd semestre 2005)