José MILLAS-MARTIN : À mots rompus, anthologie, coll. Jalons du XXème siècle, éd. Fondencre, 2011 – 15 €.

C’est plus d’un demi-siècle de publications que nous offre cette anthologie personnelle à vol d’oiseau – d’un oiseau qui sait se poser à propos sur les saillants d’un haut caractère. Une pénétrante préface de Philippe Biget, tout en décortiquant les « mécanismes » d’un style parfois ressenti comme déroutant – analyse à vrai dire utile pour ceux qui aborderaient cette œuvre pour la première fois –, insiste aussi à bon droit sur la vraie profondeur existentielle que révèle cette poésie, prolongée, par moments d’élection, jusqu’à des confins philosophiques.

José Millas-Martin traque en effet le quotidien et le banal de telle manière que, de leurs platitudes surgissent la surprise et l’émotion. D’être désabusé, cela le mène, via l’humour masquant la révolte, à une sorte de maîtrise morale (que voilà de bien grands mots, qu’il récuserait sans doute !).

Une lecture attentive de ces textes, finement choisis, fera justice en tout cas de la sorte de malentendu dont peut être victime le poète qui a opté pour ce type de parole et de registre. Immanquablement, le premier regard posé ici va ranger l’auteur dans la catégorie des fantaisistes, pour ne pas dire des amuseurs. Mais on néglige alors la « bombe » anarchiste dont la mèche continue de se consumer sous les blancs du poème. L’illusion d’optique produit le plus fort risque de « passer à côté ». José Millas-Martin n’aura d’ailleurs pas été le seul à subir ce genre d’erreur d’appréciation : comment ne pas songer, par exemple, à son (notre) ami disparu, Simonomis ?

Les poèmes/ nos procès-verbaux, constate le poète dans La Part du quotidien (1997) : voilà qui en dit long, en si peu de mots, sur la force de vérité humaine dont témoigne en réalité l’œuvre poétique tout entière de Millas-Martin. Ainsi, ce texte prodigieux, Asthme (in Recto verso, 1961), déjà cité par Serge Brindeau dans La Poésie contemporaine de langue française, impose à lui seul la nécessité quasi thérapique d’essoufflement de la forme écrite :

[…] Expirer Cœur à 140 Poitrine en pierre Aspirer Expirer […] Piqûre morphine Ventouses scarifiées Crise se détend Équilibre respiratoire L’univers redevient normal C’est élémentaire au fond de respirer

Au fil des recueils se manifeste la continuité, l’unité d’une œuvre pourtant construite à partir des matériaux les plus divers pêchés à tous les recoins du monde et de la parole – choses vues, entendues, reniflées… Cependant, le resserré télégraphique cède peu à peu à un phrasé qui, pour ne pas être proustien, vient tout de même adoucir et densifier le ressenti du poème. Les inédits publiés en fin de volume consacrent avec émotion cet aboutissement : Je regardais par la fenêtre/ Maison-de-la-mort-douce/ Un jardinier arrosait/ Tu m’as appelé sonore/ je t’ai regardé surpris/ tes lèvres ont remué/ mais je n’ai pas compris/ tu sais que j’entends mal/ Tu es resté les yeux fixes/ tes deux mains retournées/ à plat sur les draps/ Que m’as-tu dit ?

Répondant à l’appel du poète, on lira cette anthologie pour « décaler les heures, suivre la flèche du temps ».

©Paul Farellier

Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 32, 2nd semestre 2011