Mahamoud M’SAIDIE : L’Odeur du coma (éd. Librairie-Galerie Racine – 2005, 12 €)

La langue somptueuse de l’auteur de Mur du Calvaire (publié en 2001 par L’Harmattan) est celle de son rêve intérieur qui prend sa source à M’dé Bambao, aux îles Comores, là : « …où les miroirs d’eau continuent à nourrir les enfants de leurs reflets… ». Ce recueil, en deux actes : LUI, ELLE, yin et yang soudés, est un voyage scandé par les allers et retours entre la terre nourricière, celle des rites millénaires, et la terre d’adoption, celle de l’exil. Entre les deux, M’Saidie connaît ‘l’odeur du coma’ : « Il y a longtemps que j’ai appris à me baigner dans le liquide amniotique du sommeil… », qui est devenu son troisième élément – apesanteur poétique et salvatrice – état créatif où ses yeux sont tournés vers l’intérieur, face au kaléidoscope où se déploient la féerie des souvenirs et des ‘ombres étranges’ – archétypes de sa culture insulaire : « C’est depuis mille ans que je suis en contact avec des ombres étranges (…) Elle n’est pas ma muse mais ma tempête celle qui bouscule mes veines et réclame les chants de mes fibres intimes… ». Le principal mérite de ce livre est de nous donner à vivre une langue qui se fond dans les images exotiques les plus colorées, les plus épicées, les plus parfumées. Cette langue intègre tous les sucs de la Terre natale du poète, elle lui est verbe consubstantiel et le recrée ; elle transfigure, transmute et transcende la matière souvent rugueuse d’une réalité où les tensions et les conflits, on le sait, font partie du quotidien : « Il retrouve son souffle de naissance et son lait dans la profondeur des mers même les plus décharnées / Il a la carapace ruisselant d’odeurs salées des lisières et la ligne dorée des horizons suaves / Il dit que sa vertèbre est faite du bruit musical des algues et des mascarets » ou : « Dis-lui que j’ai des champs de parfums des aurores de miel qui versent leurs filets sur mon alcôve / J’ai des airs de balafon et des mélodies riches en fibres qui bercent la fureur des cailloux / J’ai la bénédiction de la magie que je conserve dans mon poing fermé… » Cette grande et vitale complicité avec les forces telluriques de son île originelle a fécondé la langue métaphorique du poète qui nous en livre ici tous les chatoiements et toutes les saveurs subéquatoriales : « Les algues devenaient de plus en plus exquises sous l’onde magnifiée par les radars du ciel (…) Ces algues étaient mes amies d’enfance celles qui m’entraînaient dans les abysses quand le soleil de midi fleurissait la mer d’Iconi… ». On aimerait citer et citer encore des passages de cette œuvre qui est une oasis de délectation dans la sèche grisaille de la poésie cérébrale du moment. Ce miracle tient probablement au fait que Mahamoud M’Saidie «…tient à survivre pour pouvoir vous apporter l’air onctueux de la terre et le minerai d’amour ».

©Jacques Taurand

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 21, premier semestre 2006)