Michel PASSELERGUE : Ombres portées, ombres errantes, « Le Semainier » / Éd. du Petit Véhicule) 90 p. – 12 €

Il y a tellement à puiser dans un livre de Michel Passelergue que l’on ne sait plus très bien quel vers choisir en exemple afin de donner corps à une pensée dont la richesse côtoie la générosité avec un égal bonheur.

Dans ce nouveau livre, «Ombres portées, ombres errantes», (Éditions du Petit Véhicule) qui fait suite au volume « Le sang étroit » (GRP), Michel Passelergue en effet, reprend ses thèmes favoris, bien conscient du « feu qui sombre » en chacun de nous.

« Et jour après jour noire langue
se vide
à pétrir tant d’oubli, tant d’usure »

Le livre se divise en une douzaine de séquences et chacune se plie à une écriture qui exige beaucoup du créateur afin d’aboutir à un juste équilibre entre chimie des corps et harmonie des mots du poème.

On pénètre dans l’univers de Michel Passelergue si l’on veut bien admettre ses relations privilégiées avec la science. Le fait qu’il ait été rédacteur en chef de la belle revue, aujourd’hui disparue, de Gérard Murail, « Phréatique », et qu’il s’intégra au GRP (Groupe de Recherches Polypoétiques), est un élément très significatif de sa démarche qui gouverne par la seule authenticité.

« Le drap respire encore
où la lumière secoue
en vain toute son écume »

Proche du « Centre », cette poésie « bouge l’espace » devant le miroir du temps. Ombres et lumières, ici, se confondent.

©Jean Chatard

Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 32, 2nd semestre 2011

Michel PASSELERGUE : Lettres à Ophélie (L’Arbre à paroles, 2006, 9 €)

La poésie de Michel Passelergue, ici en prose, a l’heur de nous surprendre, non seulement par son originalité mais en ce qu’elle se veut, et y réussit bien souvent, tentative de l’impossible : dire au-delà des mots, capter à la pointe du verbe ce qui relève précisément de l’indicible et qui soudain se cristallise, respire et scintille, par la magie de l’image, dans le prisme du poème. Cette écriture est tension de l’être vers l’essence des choses et l’auteur de nous avertir : « Je vous écris entre deux eaux, dans l’opacité ou la lumière, pour éprouver à la pointe de l’instant l’inquiétude de ce qui sera. » Assurément une écriture qui ne pèse ni ne pose, qui n’est que transparence, mouvement d’eau, frissons de miroirs où la réalité – les réalités – apparaissent en filigrane du texte pour s’évanouir tout aussitôt et laisser la place à ce flux continuel qui nous anime : « … Car nous buvons l’ombre aux mêmes phrases tranchées, sous une âme en lambeaux. Et d’une commune lampée d’absence, afin de graviter au plus près du vertige dont nous vivons encore et qui brûle les lèvres. » Présence-absence, fuite inexorable et héraclitéenne du temps, angoisse de l’insaisissable, ce sable de notre vie que Michel Passelergue tente de retenir, instants qui ne sont déjà plus qu’une ombre sur la page : ‘L’hiéroglyphe obscur qu’y trace (notre) passage’ et qu’exaltait si finement Toulet.

Ophélie, beau et riche symbole féminin, coule ici, entre les rives de chaque poème à la surface des mots-silence, des mots-miroirs, des mots-absence. Elle nous frôle comme nous frôle ‘la vraie vie’ dont Passelergue lie les fugaces reflets. Qui est Ophélie ? La poésie peut-être et tout simplement ; fluide médiatrice avec cet au-delà qui est en nous-mêmes.

Curieusement, à la lecture de ce recueil, j’ai éprouvé tout à la fois un sentiment d’oppression et de libération. Cette plongée dans l’obscur, cette remontée vers la lumière sont certes chargées d’angoisse, celle que véhicule la vie et qu’exacerbe la création du poème. Passelergue, en digne héritier du surréalisme et d’un certain ‘merveilleux’, n’a crainte de se porter aux frontières de l’illimité, là où précisément nous saisit le vertige de vivre, ce que nous dit clairement le poème page 53 : « Je vous embrasse de silence, rivière aux sourcils étonnés. Œil bleu sous les arbres. Aux obliques de l’ombre de vous envelopper d’une rumeur hors langue, de troubles ondoiements du sens. Où vous atteindre, ma transparente ? »

©Jacques Taurand

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.