Christian VIGUIÉ : Juste le provisoire (Rougerie, 2004, 7 rue de l’Échauguette, 87330 Mortemart, 80 p., 12 €)

Le souci de son propre statut, la mesure de son degré, voire de son absence de légitimité, sont des exigences auxquelles, en poésie, la parole contemporaine échappe, comme on sait, difficilement. Lisant ou écrivant, nous rencontrons mille témoignages, les plus explicites comme les plus souterrains, de l’astreinte à cette vérification permanente. Christian Viguié est de ces poètes, soigneux visiteurs des choses, des heures, des silences, à quoi, comme à des pierres de touche, il vient frotter sa parole pour des effritements d’éternités, pour une brièveté étonnée :

Les mots ne retiennent aucune preuve
aucun silence
Ils te déposent un peu plus loin
rongé par le soleil.

[…]

Cela peut ne rien signifier
juste le provisoire
le midi parcouru d’un nom
à un autre.

Aucune sécheresse académique, aucun dogmatisme pour cette recherche, mais, dans la lumière du paysage (Le matin s’accroche à un châtaignier/ Un volet pousse un nuage), le simple accomplissement d’un exister conscient par lequel se jauge l’exigence/ du néant. Si le poème de Christian Viguié consent à ne se penser qu’en limite (S’approcher/ sachant que rien ne fut pris/ mais juste effleuré/ ajoutant une ombre à une ombre), il revendique aussi quelque non-violente insoumission dont il se veut redevable à la pierre légère d’un parfum/ à une branche que tu casses/ et qui retentit à peine/ dans l’éternité surprise. Ainsi se décante et s’épuise le destin d’homme :

Souvent tu n’écris
que pour différer le silence
déplacer la mort
au milieu de l’herbe
pour donner la chance
aux pas de l’homme
ou à l’oiseau.

Le poète n’entend pas échapper à l’éphémère. Il reste au contraire, résolument mais sans effort, dans un immanent dont il montre le chemin, échangeant ce qui passe/ et ne passe pas […] un dieu/ contre une brindille.

Une belle et profonde lecture. De précieuses pages pour écouter une voix/ qui soulève le temps.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 17/18, 2ème semestre 2004)