Jacques IZOARD : Poésies 1951-1978 (845 pages, 39 €) & Poésies 1979-2000 (843 pages, 39 €), Œuvres complètes, (La Différence, 2006).

Les éditions de La Différence donnent décidément dans le gigantesque. Après la parution du premier volume de l’œuvre poétique d’Abdellatif Laâbi, puis des poèmes de Philippe Jones, voici à présent, l’œuvre en deux volumes du poète belge Jacques Izoard, soit 1688 pages, avec de très riches annexes, soit 45 recueils publiés, auxquels s’ajoutent les poèmes publiés en revues et de nombreux inédits. Cette édition collective, Jacques Izoard (né en 1936), le poète qui n’écrit pas « pour se plaindre, mais pour exercer un droit légitime », la mérite. Guy Chambelland (qui publia le recueil Un chemin de sel pur, en 1969, puis Des laitiers, des scélérats, en co-édition avec Jean Breton, en 1971) ne s’est pas trompé lorsqu’il a écrit en 1968 : « Le plus beau poète de ceux que j’ai découverts récemment… On ne saurait parler de poésie actuelle valablement sans connaître Jacques Izoard ». On l’a dit maintes fois, rappelle Gérard Prunelle, responsable de cette édition, la poésie d’Izoard a toujours affaire au langage et au corps. Le poème et le corps sont point de rencontre, de fusion et de confusion des mots et des objets : « Mot lourd de sens : le corps lui-même. » A l’intersection permanente des mots et des corps se trouve le poème, cette coquille où « je dors, sourd et aveugle, où je ne crois pourtant que ce que je vois, que ce que j’entends. » Deux types de poèmes traversent cette œuvre singulière : « ceux qui refusent toute lecture ; le sens importe peu », et ceux qui au contraire « à dessein, avec obsession, à travers chatoiement et voyelles, visitent les lieux les plus communs. » Christian Hubin l’a noté : « Izoard n’est pas un penseur, c’est un sourcier ». Il est vrai que pour ce poète, l’écriture est liée à ce qui nomme, à celui qui nomme, à ce qui est nommé. C’est une recherche de sa propre identité à travers les autres : briser ainsi le halo de vide autour des êtres, les aimer. Cette poésie est ouverte à tous les registres de la vie ; elle fait ce qu’elle dit et dit ce qu’elle fait, et se vit au moment même de l’écriture : « J’invente un poème et le poème m’invente. Il m’apprend de nouveaux gestes. Il me dit que j’existe en chacun de mes mots. »

©Karel Hadek

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.

Jean-Claude Albert COIFFARD : Ce peu d’éternité, préface de Jacques Taurand (Sac à mots).

Dès l’abord, Jean-Claude Albert Coiffard, en un poème qu’il dédie à son préfacier Jacques Taurand, précise que sa poésie est de celles qui privilégient la confidence.

« Approchez-vous du livre
car je vais parler bas »

Les mots, ici, dans leur simplicité première, sont gorgés de sève et de tendresse. On les sent palpiter en même temps que le poète utilise leur rondeur, leur chair suave, afin de nous confier combien la vie est belle sous le ciel bleu de la poésie.

Parler bas, c’est développer l’échange entre personnes de la même obédience, c’est partager les foisonnements de l’âme, les élans chaleureux du corps qui défie les ans en compagnie de la tendresse. C’est aussi écouter…

« … la plume
qui roucoule
au bord de l’encrier ».

On sait, dès lors, que Jean-Claude Albert Coiffard privilégie l’amitié et sa douce chaleur humaine. Comme Robert Momeux (dont le style est proche et la teneur voisine), il pourrait affirmer : « tous mes amis sont des poètes » tant on le sent attentif à ces « merveilleux perdants » auxquels il dédie ses textes nuancés, gouleyants, fruités comme de bons vins, superbes.

« Ce peu d’éternité » est l’œuvre d’un poète authentique, cousin d’Eluard et de Max Jacob, dont la personnalité s’affirme dans le foisonnement de sentiments élevés et la couleur des mots choisis.
Un livre chaleureux ouvert sur le présent.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.

Francis CHENOT : Bûcheronner le silence (L’Arbre à paroles / Ecrits des Forges) – 90 pages – 12 €.

Rédigé à la Maison de la Poésie de Trois-Rivières au Québec, en « résidence d’auteur », du 19 décembre 2005 au 21 janvier 2006, cet ouvrage de Francis Chenot, par la légèreté du style, l’intensité du propos, se présente comme autant de flocons de neige dans ces pages où règne le silence de l’hiver québécois, comparable au silence ardennais.

A la fois semblable et différente, la neige s’installe dans ces textes comme en un pays où la grâce et l’espace sont de connivence, où les hommes partagent les rigueurs de l’existence et les plaisirs de chaque jour, avec cette bonté d’âme qui abolit toute superficielle ambition. Ici, l’authenticité chaleureuse préserve du froid. Les bûcherons de la poésie, qu’ils soient québécois ou belges, sont animés des mêmes sentiments à l’égard de la nature, quelque part hostile, mais générant toujours de chaudes amitiés entre les individus qui la partagent. La rudesse du climat rappelle à Chenot le « grand-père Batisse » (Jean-Baptiste Chenot), cet « homme de mots justes » tant les québécois ont l’accueil généreux.

« Il fait bon dormir
au chaud dans l’hiver
quand le silence
vous enveloppe
de son aile de neige
et vous rassure »

Dès l’abord, Francis Chenot joue avec les mêmes mots d’un texte donné :

« Engoncé dans l’hiver
le silence
écoute la neige »

… et reprend, sur six pages, des variantes qui rappellent ces flocons, toujours les mêmes et toujours différents, et c’est un bonheur que de l’accompagner dans ces subtiles retombées.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.

Patricia CASTEX MENIER : X fois la nuit (Cheyne éditeur) 70 pages – 13,5 €.

Patricia Castex Menier, bellement inspirée par la nuit, nous offre quatre séries de textes (« La nuit à soi », « La nuit du chant », « La nuit des autres », « La nuit du lieu ») dont le dénominateur commun est de multiplier les audaces en ces heures particulières où le négatif occupe la pensée des artistes et les rêves des gens ordinaires. La nuit, présente en de multiples points de cette œuvre, pourvoyeuse d’images et de réflexion, se décline comme une évidence que les hommes de tous les temps redoutent et appellent.

« Toute
d’un bleu
de mer Egée

pour
l’enfant précipité
dont
ne se souvient
même plus

l’assurance
des hirondelles. »

Avec « X fois la nuit », Patricia Castex Menier éclaire les instants sombres de la vie et ses lanternes, « Tremblantes au bout du bras // précèdent / les consciences scrupuleuses ». C’est dire qu’elle donne cette « nuit mode d’emploi », avec ses risques et ses fureurs, avec ses masques et ses clartés sauvages. La nuit et ses mystères gouvernent les poèmes de ce livre envoûtant qui, de page en page, nous entraîne vers ces contrées où perdure l’imaginaire et où l’individu apprend à fixer ses repères et ses lieux.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.

Marc ALYN : Le dieu de sable, illustrations de Dominique Penchi (Graphiti/Phi/Ecrits des Forges).

Pour ce petit livre de 90 pages, Marc Alyn a choisi la réflexion et l’humour dans une succession de textes courts répartis en quatre chapitres : « Les corps subtils », « Lapidaires », « La ligne de mire » et « Lisières ». Pensées, proverbes, dictons, rassemblés ici, résultent, de la part du poète, d’une fréquentation assidue du cheptel humain et des écrivains en particulier.

Le titre « Le dieu de sable » est en lui-même révélateur de l’état d’esprit avec lequel Marc Alyn a entrepris ce voyage au pays de l’interrogation et de la lucidité. Dieu, le Diable, la mort sont tour à tour interrogés, sollicités, et c’est la mort, en fin de compte, qui semble occuper tout l’espace dans cet ouvrage où la clairvoyance conduit le bal.

« La mort : un assommant retour à la terre au fond de quelque trou perdu de la périphérie. »

« Laissez : nous passerons ainsi que des rivières. La mort seule saura que nous avons vécu. »

Quant à l’homme, Marc Alyn ne se fait aucune illusion sur ses qualités premières. Il affirme avec une pointe d’amertume et un brin d’ironie :

« A hauteur d’homme – ce qui n’a rien de vertigineux. »

Dieu lui-même n’est pas épargné :

« Dieu n’est pas constamment raisonnable. »

Les formules utilisées par Marc Alyn sont celles d’un poète, nous le savons bien, qui affirme bellement que « L’âme a le poids du ciel, plus une étoile. »

Citons encore cette évidence qui laissera songeurs bien des créateurs d’aujourd’hui :

« Vivre à titre posthume selon le protocole allègre des poètes. »

Un ouvrage où sagesse et lucidité le disputent à un humour parfois féroce.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.

Werner LAMBERSY : Gratte-pieds de Bruxelles, Photographies de Didier Serplet, postface de Catherine Gerbot, « Regards sur la ville » / CFC éditions, 14 place des Martyrs – 1000 Bruxelles. Distribution pour la France : éd. J.-M. Place, 3 rue Lhomond – 75005 Paris; 72 pages – 18 €)

Sur 72 pages et dans un format 20,5 x 32,5, ce superbe volume présente 35 photographies couleur signées Didier Serplet dans le cadre du petit patrimoine architectural des paysages urbains de la ville de Bruxelles. Le poète Werner Lambersy pose sur ces clichés le regard complice d’un artiste curieux du monde qui l’entoure et des traces secrètes des mœurs d’antan. Ces bouches d’ombre témoignent en effet d’une façon de vivre point si lointaine où l’on se présentait, chez les hôtes d’un jour, débarrassé de la boue de la grande ville. Aujourd’hui que tout est asphalte, les gratte-pieds, dérisoires cavernes en miniature, offrent leur mystère aux seuls poètes du regard et aux curieux qui savent déceler, dans les vestiges du souvenir, les traces d’une civilisation où l’on respectait encore autrui en l’honorant d’un aspect physique convenable. « On a repeint un peu on a gratté désherbé puis on a renoncé pour oublier finalement comme on oublie un puits sans eau une cheminée sans feu une âme sans rêves ou un cœur sans passion ». Werner Lambersy donne à cet ensemble le crédit de sa sensibilité et les atouts majeurs de sa culture. Chaque image est traitée avec cette audace « bon enfant » et ce sens de l’analyse qui le caractérisent. Œuvre salubre que font ici Didier Serplet et Werner Lambersy en posant un regard amusé et quasi sensuel sur cette architecture à la fois populaire par sa proximité et sophistiquée par sa structure inventive. A n’en pas douter, « Gratte-pieds de Bruxelles » est un livre qu’aurait aimé Prévert.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.

Denise DESAUTELS : Mémoires parallèles, Choix et présentation de Paul Chamberland, (éditions du Noroît ; distribution pour l’Europe : Librairie du Québec, 3 rue Gay-Lussac – 75005 Paris)

Belle et grande voix qui nous parvient du Québec en un ouvrage de 250 pages présenté par Paul Chamberland et réunissant de larges extraits d’une œuvre d’envergure dominée par un écrit dont les ressources et l’invention semblent inépuisables. Denise Desautels entretient avec la mort de singulières relations qu’elle décrit avec brio afin de se situer dans un monde sans pitié où l’artiste perd ses repères et son équilibre dans la narration pour mieux les utiliser dans son art. « répète les mots après moi – l’iconographie du désir bouleverse l’ordre des choses ». La mort s’implique la plupart du temps dans les textes de Denise Desautels non par occultation désirée mais par simple réflexe de survie où l’artiste se positionne en tant que témoin afin de structurer sa propre existence, sa propre créativité. Jeu dangereux que l’auteure n’hésite pas à provoquer et à restituer après l’avoir subi à titre personnel. Impliquée qu’elle est dans les méandres de l’interrogation. « l’espoir repose du vertige – vivre est inoffensif dit-on – on se protège contre l’effondrement ». Les deuils successifs (le père dès l’abord, puis Lou – souvenons-nous de « Tombeau de Lou » publié en 2000 par Le Noroît) apportent à Denise Desautels matière supplémentaire à s’interroger sur l’existence jusqu’à faire de ces deuils le thème privilégié (avec la théâtralité, il est vrai) d’une œuvre par ailleurs riche en émois et en tentatives multiples pour expliciter la magie d’une existence terrestre. Dans cette anthologie, les interrogations succèdent aux interrogations, les constats aux constats. « (je ne suis là pour personne ni pour – moi-même, dépaysée, un peu floue dans l’oubli… » Denise Desautels « dit ». Elle raconte. Elle se raconte et c’est l’existence de chacun d’entre nous qu’elle révèle ici. Les dédales de l’Histoire, de son histoire, de notre histoire, se retrouvent dans « Un livre de Kafka à la main », et nous ne sommes pas très éloignés de « La métamorphose » où le corps et l’âme se transforment tout en gardant leur authenticité originelle. Brillant, brûlant, troublant, ce livre rassemble 30 années d’écriture et c’est un enchantement de s’y plonger et de s’y replonger.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.

Patrick DEVAUX : Les mots imprononçables (Collection « Traverses », L’Arbre à paroles) ; Connivences aphones (MI(ni)CROBE – 8)

Patrick Devaux semble aimer le clair-obscur : la demi-pénombre et son intimisme brûlant donnent à ses poèmes un parfum de nostalgie qui se retrouve dans « Connivences aphones » et dans « Les mots imprononçables », recueil déjà ancien (1997) publié dans la petite collection « Traverses » de L’Arbre à paroles. « comment – taire – les battements – des cœurs gravés – sur le vieux chêne ». Le style de Patrick Devaux rappelle la concision du haïku. Cette façon abrupte d’aborder la réalité le situe d’emblée dans la catégorie des poètes peu enclins au lyrisme, ce qui ne l’empêche nullement de se laisser aller à des tendresses subtiles que les titres de ces deux ouvrages laissent présager. « à la fenêtre – une bougie – achève – de grignoter – la chambre ». Conçus pour la réflexion autant que pour l’image, les poèmes de Patrick Devaux, épurés à l’extrême, véhiculent de courts messages à l’intention des imaginatifs.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.

Danièle AURAY : La source de sable, Préface de Charles Le Quintrec, (Editions de la rivière, 10 allée des Pervenches – 22100 Lanvallay ; 88 pages – 15 €)

La poésie de Danièle Auray nous transporte d’emblée dans ces lieux magiques où les êtres partagent avec les fées et les enchanteurs ces miroirs de l’âme où ne se reflètent que les seuls visages des ambassadeurs du rêve. Les princesses y vivent en leur domaine et les chevaux blancs y sont tout naturellement ailés. « Il y avait la peur du vide – et les enchantements. – Se donner, se reprendre – l’amour portait des roses – qui souvent déchiraient. » Charles Le Quintrec, en sa préface, souligne que Danièle Auray « nous parle du rêve – de son rêve – qui lui permet d’arracher au jour et à la nuit des astres itinérants qu’elle gouverne en y mettant de son cœur et de son âme. » C’est bien là le postulat de Danièle Auray qui « lève les mystérieuses barrières » avec cette élégance qui sied aux semeurs de rosée. Cette poésie réveille quelques douleurs étranges où naissent des accents pathétiques, tel ce quatrain : « Des hommes assoiffés burent une eau mortelle. – Et quand l’agneau égorgé – répandit son sang sur le sable – la pierre brûlante se referma sur le jour ». « La source de sable » dissimule, en ses aspects légendaires, des vérités salubres que l’on aime côtoyer.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.

Cristino CORTES : Le Livre du père (O livro do pai) – Version française de Jean-Paul Mestas (Les Presses Littéraires ; 48 pages 8 €)

Avec, dès l’abord, un dessin signé Miguel Barbosa, un encouragement chaleureux d’Henri Bernier en quatrième de couverture et une traduction de Jean-Paul Mestas, Cristino Cortes entre dans le domaine de la poésie francophone bardé d’atouts majeurs. Son livre, le dixième publié de cet économiste de formation, né en 1953, est un hommage au père. Dès les premières pages de ce recueil, Cristino Cortes précise : « Je ne me situe au-dessus de personne », et cette humilité naturelle se retrouve dans la plupart des pages de cette œuvre dont le sentiment filial est au diapason des battements du cœur. Le père malade, le père qui décline, le père qui quitte le monde des vivants, sont autant de drames que chacun d’entre nous a vécus ou vivra. « Je suis resté plus riche d’avoir tant appris de lui – Avec toi mère… qui me donna de ne pas l’oublier davantage ». C’est dans ce « Hall d’hôpital » où « chaque blouse blanche est un ange et un saint » que s’opère le passage des générations. Le père meurt, le fils témoigne en poète, avec amour et respect de la vie et du temps qui passe… et le petit-fils, déjà présent au nombre des vivants, qui ouvre les yeux sur l’avenir radieux de la tendresse humaine.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.