Claude LOUIS-COMBET : La Fin de l’archipel, dessins et gravures de J. G. Gwezenneg (éditions Isoète, Cherbourg-Octeville, 2007 – 13€)

Des éditeurs rares, ici Isoète éd., publient des livres qui le sont plus encore, quand bien même ils rejoignent une œuvre considérable, aujourd’hui abritée quasi toute chez José Corti : celle de Claude Louis-Combet. Les réflexions comme les récits lyriques les plus connus situent l’écrivain sur une île plus isolée et moins repérable dans l’océan littéraire actuel que l’archipel improbable d’où partit ou échoua Saint Brendan. La figure et la pérégrination du moine irlandais légendaire encadrent métaphoriquement la très belle confession réfléchie et lyrique de Claude Louis-Combet dans La Fin de l’archipel. Il s’agit là moins d’une relation autobiographique que de celle d’une aventure purement intérieure. Énoncé à la première personne, il semble que « l’homme du texte » et l’homme de chair s’y fondent (fondre : fusionner et fonder aussi) plus qu’ailleurs, dispensés ici parfaitement de tout recours à une tierce Figure (hagiographique souvent ailleurs). Car, dans toute l’œuvre, le souci de l’écrivain aura été de « rendre sensible la présence de la chair dans l’ordre des mots. » (L’homme du texte, Corti éd.). La confession personnelle ne se dépouillant jamais de l’apparat de la langue, l’écrivain parvient à les faire se conjoindre, comme en tous ses livres, sans aucun artifice, en un très juste accord.

Il y a dans ce texte très court (qu’amplifient en sa belle typographie les étranges formes ovoïdes des dessins et gravures de J. G. Gwezenneg) ce dont le reste de l’œuvre nous a faits familiers : l’aspiration vers Dieu, la cassure adulte, le péché de chair, la permanence d’une fascination
pour les figures de l’hagiographie, la lucidité face à l’avancée de l’âge, l’aveu aussi d’une masse d’écrits en attente dans cette réduction de la vie à sa peau de chagrin. Mais ce qui en fait la singularité et nous atteint plus que tout dans ce récit, c’est son cœur battant, la sève et sang qui l’irrite et le traverse tout et que nous savons, hors de tout texte, la réalité physique, concrète, charnelle de deux personnes indissociables.

Dans «le débord de la nostalgie et de la mélancolie », se dit, au plus loin comme au plus près des navigations du moine incitateur, le désir humain : celui d’une grande passion unique, consomptrice, vécue comme absolue.

©Bernadette Engel-Roux

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 26, 2nd semestre 2008)

Marie-Josée CHRISTIEN : Conversation de l’arbre et du vent, photographies de Jean-Yves Gloaguen (Tertium éditions – Parc d’activités Quercypôle – 46100 Cambes ; 90 pages, 12,50 €)

On entre dans l’univers poétique de Marie-Josée Christien bercé par une étrange musique où les mots s’aventurent jusqu’aux âmes des arbres et au delà à cet endroit mystérieux où Quelques oiseaux dessinent – des points de suspension. Cette Conversation de l’arbre et du vent nous invite au partage de la mélodie et des futaies du plaisir. Le chant se mêle aux branches, les racines pénètrent la terre et c’est dans l’harmonie d’une poésie charnelle que Marie-Josée Christien évolue avec l’aisance d’une maîtrise de tous les instants. Tout peut cacher le soleil – un nuage – la pluie – l’oubli. Mots magiques dans leur simplicité naturelle. Termes empruntés à la nature dans ce qu’elle a de plus authentique. De toute éternité, le poète sait que D’un seul battement d’ailes – l’oiseau – à lui seul – remplit le jour. Les photographies de Jean-Yves Gloaguen soulignent avec délicatesse les propos de Marie-Josée Christien. C’est dire que ce charmant ouvrage réunit beaucoup de qualités. À commencer par le talent.

©Jean Chatard

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 26, 2nd semestre 2008)

Pierre DHAINAUT/ Sur le vif prodigue, dessins de Grégory Masurovsky (L’Abreuvoir/ Éditions des Vanneaux, 2008 ; 70 pages, 12 €)

Le nouveau livre de Pierre Dhainaut, bellement illustré par Grégory Masurovsky, recourt à un vers proche de la prose qui appréhende généreusement une pensée développée par le poète avec cette générosité de cœur que l’on constate chez lui, de livre en livre. Saluer le vif, c’est saluer la charpente et l’écorce, l’os et la chair. Et Pierre Dhainaut alimente le secret du « dire » avec ses formules « au plus près » d’une poésie brillante dans laquelle s’implante un quotidien chargé des multiples attraits de l’existence d’un homme ordinaire qui possède le don de transformer la réalité. Voici que surgissent les vents – de plus loin que la mer, – ils ont déchiré l’horizon, – de ride en ride ils prennent le visage – pour du sable à morte-eau. Cette poésie sied à Pierre Dhainaut. Elle fait partie d’un tout qui accorde au Nord, cher au poète, les vertus de l’existence même, ce « vif prodigue » qu’il célèbre avec grand bonheur dans cet ouvrage. Les illustrations de Grégory Masurovsky ouvrent de larges baies sur la poésie de Pierre Dhainaut et ses compositions n’accompagnent pas les poèmes mais leur offrent les terrains sablonneux sur lesquels le poète s’engage avec volupté, dans la plénitude de son art. Confiance aux mains quand les regards défaillent, – elles ont peur autant qu’elles espèrent, – elles avancent : l’espace au bout des doigts.

©Jean Chatard

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 26, 2nd semestre 2008)

Olivier DESCHIZEAUX : Le soldat mort (éditions Rougerie, 2008 ; 64 pages, 11 €)

Par le biais de courts poèmes en prose, Olivier Deschizeaux nous confie les interrogations et les doutes d’un soldat, mort pour une cause dont il soupçonne à peine tenants et aboutissants, un pauvre bougre d’homme qui se décharne et se désespère d’être devenu ce cadavre dont les chairs se décomposent, dont les sucs intimes suintent des planches disjointes. C’est la mort et son cortège de processus répugnants où la peau se désolidarise des chairs, où seule une philosophie subsiste après que la chimie a joué son rôle. Le soldat mort retrace une injustice (pour quelle raison mourir à vingt ans ?) qu’Olivier Deschizeaux dénonce avec véhémence en des textes d’une rare intensité. Vides artères du sable, tentacules jetés aux sorts ineffables de l’angoisse, terne congrès et tendre palissade, j’étouffe le nom de mes prétentions moribondes, la terre, le monde se sont tournés vers la folie du vent. Le soldat mort, c’est un peu de l’enfance qui disparaît avec le jeune homme tombant sous les rafales, Le soldat mort, c’est l’horreur de l’existence confisquée à l’âge où l’on songe à l’amour, aux plaisirs de tous ordres. La guerre insinue ses ailes sous le manteau brisé du printemps, les aigles s’abreuvent aux nuages, à grands pas s’approchent les secousses de l’autel qui ouvrira son sang au mien. Un livre éprouvant et beau.

©Jean Chatard

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 26, 2nd semestre 2008)

Jehan DESPERT : Roscoff, escale pour Tristan Corbière, illustrations de Louis Pors (La Lucarne ovale éditions, 2008 ; 24 pages, 6 €)

Jehan Despert, le poète et Louis Pors l’illustrateur ont réuni leurs talents autour de ce personnage énigmatique entre tous : Tristan Corbière et la ville de Roscoff qu’il hanta et qu’il hante encore aujourd’hui. On a tout dit sur Corbière et Les amours jaunes, on a tout chanté, mais le livre que l’on nous offre ce jour est de ceux que l’on feuillette la tendresse au cœur et la reconnaissance au bord des lèvres. Les textes de Jehan Despert sont de ceux que l’on souhaite pour saluer le « bossu bitord » et les dessins de Louis Pors créent le décor magique de ce destin hors du commun. La longue pipe au bec ; – les mots que tu préfères – ont ce goût de varech – traversé d’un enfer. En quelques vers, tout est dit, avec en prime, la chaleureuse connivence d’un poète à qui l’on doit une quarantaine d’ouvrages poétiques. Cette rencontre avec Tristan Corbière, sous le signe de la fraternité marine donne à Jehan Despert l’occasion de pénétrer un milieu, celui de la mer qui, pour être souvent pathétique n’en devient pas moins un potentiel vital de belle humeur que les nombreux dessins (couleur) soulignent avec un éclat particulier. Plus explicite qu’un essai, plus significatif qu’un « portrait », ce livre invite à une profonde connaissance de l’œuvre de Tristan Corbière tout en demeurant léger, fraternellement ouvert sur la création d’aujourd’hui.

©Jean Chatard

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 26, 2nd semestre 2008)

Jacques TAURAND : Une voix plus lointaine, Préface de Jean Chatard, (2007, éditions des Silves, 27 ter, sente des Prés – 95160 Éragny-sur-Oise, 12 €)

Les éditions des Silves ont été créées en mars 2007, dans le Val-d’Oise. Aussi, tout naturellement, écrit Geneviève Silvestro : « Nous publions à la croisée des horizons, à l’image des membres de l’équipe créatrice et du public de la région. Fondée par des ingénieurs, des poètes, et des plasticiens, les thèmes de notre maison ne cessent de provoquer la rencontre entre sciences, arts et la littérature contemporaine. » Les éditions des Silves comptent deux collections de poésie. Celle des « Grandes Silves », accueille (en des recueils de qualité et vraiment soignés côté présentation) des poètes confirmés, tels que Jean-Philippe Aizier (qui publie Rivages, suivi de : Arrêts sur images) et Jacques Taurand, un ami disparu et très regretté par les HSE. Cette Voix plus lointaine, testamentaire, est donc émouvante à plus d’un titre. Les poèmes ont été écrits pour la majorité, à l’exception du premier, la longue et belle « Ode pour une jeunesse défunte », lors de moments difficiles entre L’Isle-Adam et l’Hôtel-Dieu, tout au long des « séjours » hospitaliers du poète, comme le note cet autre excellent poète et critique qu’est Jean Chatard, dans sa préface : « La maladie, la mort, y sont omniprésentes, en de pudiques accents, le poète privilégiant les heures chaudes des regrets, les amours folles d’une jeunesse offertes aux souvenirs, laissant à d’autres un lyrisme outrancier. » Il faut lire ces poèmes épurés et fluides, écrits du fond de cette prison de chair, ces bruits d’un jour où se perdent les pas ; il faut lire ces poèmes, car ils émanent d’un poète qui ne cache pas la vie, mais l’écrit avec la noire écriture du sang.

©Karel Hadek

( Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 26, 2nd semestre 2008)

Jean ORIZET : Anthologie de la poésie française (2007, Larousse – 19, rue du Montparnasse – 75006 Paris, 22 €)

Cette anthologie de 1087 pages fera date. Il s’agit d’une édition non illustrée et mise à jour de l’ouvrage qui avait paru en 1988. Donc, nous perdons la richesse iconographique de la première édition, mais pour y gagner en poèmes et en poètes. De la Cantilène de Sainte Eulalie (950) à Olivier Brun (né en 1969), Jean Orizet, nous fait parcourir plus de mille ans de création poétique. Les notices comme les têtes de chapitres, qui s’attardent avec raison sur le contexte historique, social et culturel de chaque époque, sont aussi riches qu’éclairantes, toujours copieuses. La part réservée à la francophonie est aussi ample qu’inédite, pour un ouvrage de ce genre. Que dire de cette anthologie, qui regroupe 350 auteurs, si ce n’est qu’elle est très certainement la plus complète, la plus ambitieuse et la plus honnête de toutes, par son désir de rendre compte, sans la moindre censure, de tous les aspects de l’histoire, des mouvements, des courants, de la poésie française. Toujours de Jean Orizet, nous rappellerons cette autre anthologie de référence, mais sur la période contemporaine, cette fois, qu’est La poésie française contemporaine (le cherche midi, 2004, 18 €), soit 160 poètes de France et des pays francophones, partant de quelques aînés importants mais parfois un peu oubliés, tels que Rousselot, Suarès, Borne, Frédérique, Malrieu ou Bérimont, aux poètes nés après 1950, en passant par la génération née entre 1920 et 1950. Une fois de plus, c’est l’ouverture et l’exhaustivité, que nous devons saluer. C’est rare. Enfin, il convient aussi d’évoquer, ce que nous n’avons pu faire jusqu’alors, cet autre livre important publié par Jean Orizet : L’entretemps. Brèves histoires de l’art (La Table Ronde, 19.50 €). Anthologiste, éditeur, critique, animateur, écrivain, Jean Orizet est avant tout un poète ; un poète qui a parcouru le monde physiquement, géographiquement, oniriquement ; un poète de la vie immédiate doublé, aussi, d’un grand amateur d’art, de culture, de toutes les cultures. On lit L’entretemps, c’est-à-dire « ce va-et-vient entre temps et espace par lequel l’artiste accomplit son rêve d’immortalité », comme on lit un poème ou une prose initiatique (je pense notamment, toujours du même auteur, à L’épaule du cavalier ou au Miroir de méduse). Car, c’est bien de sa propre relation au monde, aux œuvres, aux cultures et aux artistes, que nous parle Orizet, évoquant son expérience, ses éblouissements, ses rencontres et ses amitiés, à propos de la « peinture moderne », de « l’image et l’objet », « l’idole et la momie », « le marbre et le soleil », « le serpent et l’oiseau » ou de ses « carnets d’Asie », à travers une prose éminemment riche et poétique.

©Karel Hadek

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 26, 2nd semestre 2008)

Jean-Luc MAXENCE / Elisabeth VIEL : Anthologie de la Poésie Maçonnique et Symbolique (2007, Dervy – 204, boulevard Raspail – 75014 Paris, 23.50 €)

Je ne saurais dire si cette anthologie suscitera polémiques et commentaires, comme s’y attend Jean-Luc Maxence. Par contre, un fait est certain, c’est qu’il s’agit du premier travail du genre, fort réussi, et certainement exhaustif. Nous retrouvons, au sein de ce panorama, plus de deux cents poètes et chansonniers, francs-maçons ou proches de la franc-maçonnerie, de Voltaire à Francesca Caroutch, en passant par Nerval, Baudelaire, Bruant, Mallarmé, Pierre Dac, André Breton, Henein, Milosz, Dauphin ou Taurand ; quatre cents poèmes sur près de trois siècles ; le tout en 523 pages. Tous les poètes de cette anthologie sont-ils maçons ? Non, bien sûr, mais leur évidente relation au symbole suffit à les y voir figurer. Maçonnerie et poésie sont porteuses de rêve, écrit Jean-François Pluviaud, en postface, c’est que : « L’une et l’autre sont une voie d’accès à une réalité différente, une nouvelle perception de l’univers, une découverte de soi. L’une et l’autre sont un révélateur, permettant la mise au jour d’un modèle d’absolu, enfoui au plus profond de chacun d’entre nous, elles sont un moyen d’appréhender le monde. »

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Roland NADAUS : Les noms de la ville (2007, éditions du Soleil natal – 8 bis, rue Lormier – 91580 Étréchy, 12 €)

J’avoue avoir été conquis par cet homme hors norme, à la fois poète de talent et élu de conviction, qui ne mâche pas ses mots, qu’est Roland Nadaus, à un tel point, que j’ai soufflé le livre et la note de lecture à C. Dauphin. Roland Nadaus a bâti une ville : Guyancourt, dans les Yvelines, dont il fut le maire durant trente années. Poète et élu, c’est justement à cette double casquette dont il ne fit toujours qu’une (ce qui a dû déranger pas mal de monde, tant en politique qu’en poésie), que Nadaus consacre son livre : « Donner un nom est pouvoir presque divin ; j’ai eu cent et une fois cette chance – et parfois j’ai fait l’acrobate ou même le clown au nez rouge pour donner nom à l’amour, à l’admiration, à la reconnaissance, à l’espoir, au témoignage, à la beauté. » C’est bien l’histoire des noms qu’il a donnés aux rues de sa ville (des noms de poètes, y compris vivants, ce qui est unique) dont il est question ici. Si le sujet pourrait paraître ennuyeux, j’assure qu’il n’en est rien sous la plume de Roland Nadaus. Les noms de la ville, sous-titré « Poèmes journalistiques » se lit d’une traite comme un récit qui tient en haleine.

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)