Sans doute le poète a-t-il tenté de mettre au jour, dans une forme parfois obscure qui est l’apanage et le plaisir de la poésie, toutes les richesses et aussi les douleurs accumulées. Le titre est explicite : il exprime une sorte d’opulence de vivre, presque un merci, et ce butin, partout cueilli, est constitué d’élans, de surprises, de beaux venins dans la lente ou brutale circulation du monde. L’amour de la compagne (et, à travers elle, l’évocation de la femme libératrice), l’ode à l’amitié, les hymnes au pays que le cœur burine, les sports ambigus ou non, la solitude de l’enfance sont donnés en courtes rafales sous la tendresse ou la grimace du soleil. On effeuille, parmi les fines herbes, « une panique dans la menthe », on assiste à la genèse par l’acmé, on incante l’âge dans les ruades de l’enfance, tout « en balbutiant les mots vifs désappris », l’espace de quelques formules simples ou savantes. Il y a les avalanches du bleu et ce rictus qui nous attend – avec, entre ces deux promesses qui s’affrontent, toute « la présence d’un sens ». « À celle qui dort » : calme et lente tu vis la main bleue de la pluie / t’apaise et dans les heures où le tissu de nuit / s’élime à la trame aride du matin / tu étreins des brassées de robes un butin / de fanes égrenées de masques personnages / oubliés par ta chair de veilleuse trop sage / et les rondes où t’entraînent d’androgynes enfants / sont des désirs cruels sous des tourbillons blancs / quand tu halètes fort est-ce encore ta peur / qui suspend ton apnée à fleur d’hypnose ou le tressaut slave de ton humour moqueur / mon obstinée à te méfier des roses / un rai clair des persiennes est assez audacieux / pour fondre l’inquiétude à l’envers de tes yeux. Louis Aldebert, « À celle qui dort », extrait.
©Alain Breton
(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 31, premier semestre 2011)