GILLES BAUDRY: NULLE AUTRE LAMPE QUE LA VOIX, Rougerie, 13 €.

Ce livre est un journal et un guide spirituels. Et c’est parce qu’il est un journal qu’il est un guide. Pour celui qui, comme Gilles Baudry, est un contemplatif, chaque instant a à voir avec l’évidence. Et son propos est de la faire partager. Évidence spirituelle qui est aussi une évidence sensible:

« Les étoiles qui sont
les fleurs les plus lucides de la nuit. »

C’est l’oreille spirituelle qui guide: le mot déchiffre et dévoile les résonances de la transcendance dans le sensible:

« Ces chants blessés des oiseaux migrateurs
qui sont la plus belle preuve du ciel ».

Sans cesse, l’esprit obéit à la « germination de la lumière », image de l’infini renaissant et source d’un élan jamais las:

«garde la page inapaisée ».

Humble et fervent, le poète sait reconnaître les délégués de l’infini. Ainsi, la première neige:

« elle est la seule
qui sache et qui se taise ».

Gilles Baudry suscite une géopoétique spirituelle à partir des monts d’Arrée: « on vit ici/… avec l’épine dorsale des monts/ pour ligne de partage/ entre deux mondes ».

Du cœur de la mystique chrétienne, il élève son poème à la contemplation de Marie:

« Son regard de vitrail
s’éclaire du dedans
sa gravité légère l’apparente au ciel ».

Sa foi le place au nombre des pèlerins d’Emmaüs, dans les pas du Christ:

«leur battement dans notre cœur
abolissait le temps ».

©Gilles Lades

Gilles BAUDRY : Nulle autre lampe que la voix (Rougerie, 2006 – 13 € – 7 rue de l’Échauguette, 87330 Mortemart)

Dès l’invocation – et même dès le titre – le poème ici parle de l’intérieur ; les mots sont de ces portes qu’on pousse/ au-dedans de soi. Mais, dans son intériorité, la vie contemplative en appelle aussi à la voix venue d’ailleurs qui, seule, permet une intuition du monde/ autre que ce qu’il est. Le silence est alors recherché comme un abri, l’écriture, comme une trouée d’extase, un guet-apens de l’invisible.

Pour autant, nulle tentation quiétiste dans ce livre aux intenses lumières : Garde la page inapaisée, se commande à lui-même le poète. De fait, nombre de pages du recueil ne craignent pas, avec foi, d’affronter l’incertitude, l’opacité, la séparation, le malheur. Et il est significatif qu’un salut soit, en plein cœur de l’ouvrage, adressé à Pierre Gabriel [[Sur Pierre Gabriel, voir notre étude Pierre Gabriel ou « Le nom de la nuit », in Les Hommes sans épaules, n° 16, premier semestre 2004.]] et à son questionnement tragique :

Offrir sa chance
à toute aube incertaine
et à sa frêle royauté,
prendre sa lampe
à voix basse nommée,
laisser mûrir sa mort natale :
nul autre legs testamentaire
pour votre adieu au bord
des âges, Pierre Gabriel.

Il reste surtout l’essentielle clarté de cette poésie ; la main à plume dont, citant Rimbaud, elle instaure le rêve diaphane ; les mots de la plus simple fraîcheur et d’une évidence que l’on pouvait croire de longtemps perdues : ce bruit d’étoffe sur la mer […], la soie d’une respiration […] ; et les intuitions décisives :

La mort,
tu la croyais nocturne :
elle t’éblouit.

Un des plus beaux livres du poète. À ne pas manquer.

©Paul Farellier

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)