Denise BORIAS : Le Moment venu, Éd. du Cygne, 2013, 10 €.

Plaisir renouvelé et intact à chaque nouveau livre de Denise Borias : une écriture essentiellement aérée qui n’a cessé de dire, avec la grâce d’une simplicité jamais affectée, l’émotion du moi au spectacle du monde. D’ouvrage en ouvrage, se confirme et se précise une vision panthéiste, qu’on peut supposer confortée au contact des sagesses orientales. Mots de passe (L’Arbre à paroles, 2003) superposait déjà à son regard sur la beauté l’exploration d’une voie personnelle vers une résolution dernière dans l’être du monde.

Avec les deux séquences qui composent Le Moment venu, Denise Borias arrime cette même méditation à deux Éléments : l’eau sous sa forme maritime (« Visages de l’eau ») ; la terre qui enfante les arbres (« Les chemins de l’arbre »).

Les images de la première suite sont admirablement suggestives d’une pensée du devenir en parfaite fluidité. Ceci, par exemple, d’un scintillement tout héraclitéen : L’enfant plonge dans l’écume/ – Peut-il empêcher la vague/ de se retirer ? Ou ceci encore, pour témoigner de l’idée d’un retour au grand Tout : La Mort est peut-être/ une vague/ qui revient au corps immense/ de l’océan/ – passage infime sur l’autre rive.

La seconde suite oppose, avec la figure centrale de l’arbre, les images de l’immuable – l’enracinement – et de la mobilité (feuillages, oiseau, ruisseau, nuages…). Le premier poème parvient même à les faire coexister dans le bref déroulé de ses quatre vers : Enchaîné à la terre,/ l’olivier/ élève à hauteur d’oiseau/ la vibration légère de son feuillage. Toute la séquence oriente vers un affaiblissement progressif de ce qui semblait pouvoir attacher à la terre : Que deviennent au soir/ les montagnes impassibles ?/ Un lavis de nuages/ dans la brume, prête à se dissoudre. D’évidence, le destin personnel se mesure et se joue à cette aune : Le moment venu,/ je partirai,/ happée par le flamboiement de l’eau./ Sur la berge,/ je n’aurai fait qu’une étape.

Un livre particulièrement attachant, tout à la fois profond et diaphane.

©Paul Farellier

Note de lecture in Les Hommes sans Épaules, n° 37, 1er semestre 2014.

Denise BORIAS : Mots de passe (L’Arbre à paroles, coll. Traverses, Amay, 2003)

On a beaucoup de plaisir à lire Denise Borias : une écriture de plus en plus allégée vers l’essentiel, loin du souci d’accumuler ou de prouver ; des suites justement aérées, une parole toute de grâce, de simplicité naturelle, pour dire, sans recours non plus au lyrisme, l’émotion apollinienne du spectacle du monde. Chaque ligne vérifie l’adhérence entre objet et regard, sinon leur identité. Tel était, par exemple, le livre précédent (Instants donnés, L’Arbre à paroles, 2000) ou encore chacun des derniers titres publiés par Rougerie, et notamment Paroles de feuilles (1991). Outre la finesse « japonisante » de l’observation, n’y avait-on pas senti déjà, et par le corps, l’irrésistible aimantation du moi par la rive du monde ?

Avec ces Mots de passe (un titre assez polysémique pour évoquer l’intensité d’un passage), Denise Borias ajoute à la beauté qui se regarde, le danger qui se mesure (l’ouverture à l’inconnu/ au secret des cellules/ jonglant avec la vie) et le sentiment très fort que le destin personnel – et son aboutissement dans la mort – se résout à la fois dans le grand tout de la nature, comme une restitution ultime de la personne à l’être du monde, et dans la descente en soi-même, comme une rentrée en vérité (Sans un mot je partirai/ telle une branche infime/ se mêle aux brumes de novembre […] Le départ se fera désormais/ vers l’intérieur/ comme on rentre chez soi). Il faut donc apprendre et retenir ces Mots de passe.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 15, 2ème semestre 2003)