À partir d’une Rêverie, d’une initiation dans une chambre de plein air, l’auteur a mêlé la chronique de jeunesse et la rencontre de l’amour, ayant fait du temps le charabia des cimes. Sans doute aurait-il pu choisir le mica ou l’ébène, la mangrove ou le micocoulier, l’abeille ou le serpent pour incarner sa voix. Ce fut le chien, ce qui est tout, sauf innocent. Ainsi, de caverne en maison, pour dériver par-delà les villes « qui n’ont pas le temps », cette option lui a permis d’expectorer ses colères et sa rage (« Je noie l’univers naufragé »), mais aussi d’aller à la rencontre des sensations fortes, et de faire face à la simplicité d’être. Cette variation du loup-garou, cette réincarnation provisoire fut aussi le choix d’une métaphore diffusant son principe poétique. Car le pouvoir du poète est grand ; comme Rilke, il se transforme en tout. Quoi de mieux, en effet, qu’un retour au barbare (au sens que Diderot donnait à ce mot) quand on veut changer le monde ? Quoi de plus fort que de « réinventer des gestes », mais « les bras en balance » quand on tient à la sagesse ? Que vouloir « que s’effleurer/ ne soit pas sans sourire » quand on invite à la joie ? Même si, parfois, l’ambivalence de la métaphore oscille entre – fausse naïveté, découverte de candide ? – les maladresses du civilisé et le sortilège poétique : « Je n’aurais jamais cru/faire tomber la neige/en frottant deux secrets », l’urgence est de se soustraire à « la réalité de nos crimes quotidiens ». Toutefois, c’est surtout la rencontre (intuition ? témoignage ?) avec une femme (note bleue venue de quelle contrée ?) et sa langue inconnue (« J’ouvrirai des fleurs dont nul ne connaît la prononciation ») qui peut ouvrir la voie à la connaissance du monde. À partir de cette magie, tout fusionne où le cosmos s’infuse par le « lien qui unit ». Au passage, on attrape une définition qui n’est pas qu’un os à ronger : « Je te parle d’un chien – arbuste sauvage de l’identité stellaire ». Ainsi, l’homme se transforme en chien et devient chaque détail du tout : la fameuse porte ouverte des mages et des fous.
La présence de Valère Mouchet se manifeste par une mise en page pleine de suspens où les images et les textes se fécondent. Ici ou là, des silhouettes d’hommes et de femmes nus, des bustes sortant des limbes, des explosions naturelles, des zigzags d’ombres, des métamorphoses angoissées ou burlesques, des rayures en chuchotis, des idées en filigrane jouent aux sémaphores discrets. Une marionnette s’étire non loin d’une maison, un champignon atomique écrasé s’offre en illusion menaçante, un caniche se promène, s’allonge, privé de visage, en narguant une tête d’homme, un alambic est suspendu comme un panache… Les imbrications sont nombreuses qui font pression sur notre imaginaire sans jamais forcer le sens.
En lisant cet ouvrage, on se surprend à sortir du « tumulte de nos rouages ». Notre main devient sable, feuille, avant qu’un feulement s’empare de nous ou qu’un jappement nous échappe, ce qui, avouons-le, ne manque pas de chien. N’est pas bête qui veut. C’est une grâce. Qui a bu de cette parole aboiera.
©Alain Breton
(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 31, premier semestre 2011)