La Plage blanche, Maurice Cury, E.C. éditions, 1 rue de l’Ancien Presbytère, F-34230 Campagnan.

L’œuvre déjà très importante de Maurice Cury utilise tous les chemins de la littérature pour canaliser une inspiration débordante dans laquelle s’épanouissent romans, poèmes, essais, théâtre, nouvelles et chroniques. C’est dire que sa copieuse bibliographie est riche de livres divers où chacun peut puiser avec l’assurance de découvrir ce qu’il cherche de création chez cet homme de cœur et d’esprit, attentif aux nuances du langage.

Avec le roman La Plage blanche, Maurice Cury nous convie à des vacances normandes au cours desquelles se font et se défont des couples insouciants à la veille de la guerre, préoccupés par leurs amours et leurs problèmes affectifs avant de prendre conscience d’événements plus dramatiques.

D’un premier abord légère, l’histoire se structure, s’étoffe et les personnages, pour insouciants qu’ils sont, se trouvent confrontés à des situations où la morale et l’éthique sont pris à partie par un narrateur dont le second roman parvient difficilement à prendre forme.

Si les femmes, mariées ou non, occupent une large place dans la vie de ce vacancier en quête d’inspiration, Maurice Cury, lui, en sait capter les ondes subtiles, les hésitations, les faiblesses, les parfums. À ce jeu subtil, le roman prend de l’ampleur, se développe afin d’atteindre cette Plage blanche où s’inscrivent successivement les traces de personnages en devenir.

Sans doute existe-t-il une part non négligeable d’autobiographie dans cet ouvrage, mais cela importe peu en regard de l’histoire qui s’annonce et se développe comme un habile jeu de construction où les personnages se définissent avec audace et lucidité, comme livrés à leur propre existence, passagère et sensible.

À noter, aux mêmes éditions, Le Cimetière du Nord, 2004, un autre roman de Maurice Cury, rédigé en collaboration avec Jean Bany qui a choisi de nous quitter en 1993.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 352, septembre 2007

L’Éveil des eaux dormantes, Maurice Couquiaud, Avant-dire de Jean-Luc Maxence, Les Cahiers du Sens / Le Nouvel Athanor

Maurice Couquiaud, s’il participe à L’Éveil des eaux dormantes, paraît particulièrement sensible aux pierres déposées, comme autant de signes de reconnaissance et d’intelligence le long d’une existence de croyant que les idées tenaillent mais que la continuité interpelle par ses pouvoirs de durée. Le poète s’attarde à perpétuer Les Chants de pierre par le biais de poèmes aux beautés sereines dont les thèmes s’articulent autour d’une possible postérité des choses.

« La préhistoire survit dans l’humus des temps rongés, / sous les couches d’images qui nous ont effleurés. / L’espace étouffé devient silo des événements, / pierre gravée de souvenirs sous les oublis dormants. »

En des textes souvent rimés (parfois de purs alexandrins), Maurice Couquiaud s’attarde sur tout ce que défie le temps : pierre, marbre, et même ciment des trottoirs. Il s’interroge sur l’avenir des statues et la « fragilité » des cristaux.

C’est dire que sa poésie prend en compte la précarité de l’individu confronté à une matière plus durable que l’espèce humaine, qui défie le temps et contre laquelle l’artiste se heurtera toujours, mais qu’il domestiquera selon ses critères propres.

Riche de ses accents autant que de ses interrogations, L’Éveil des eaux dormantes est un livre dont la sensibilité émeut et pour lequel Jean-Pierre Alaux a conçu une oeuvre graphique « Filigrana » qui s’intègre avec harmonie dans le contexte de cet ouvrage aux multiples facettes.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 348, mars 2007

Sylvestre CLANCIER : Une couleur dans la nuit (« GRAPHITI » / Editions PHI / Ecrits des Forges)

Dirigée par Jean Portante, la collection « Graphiti », que les amateurs, de ce côté-ci et de l’autre de l’Atlantique, connaissent bien, offre à Sylvestre Clancier l’occasion de développer sa vision du poète et de la poésie en cet ouvrage, « Une couleur dans la nuit », qui marque l’esprit en redessinant une enfance où les sentiments sont à échelle humaine, les préoccupations immédiates et les amours pudiques. Sylvestre Clancier sait débusquer « ce bonheur bleu derrière la porte » et parcourir « le monde qui est dans sa main » avec cette part essentielle de tendresse qui soude les instants et gouverne les inclinations.

« Il faut l’adresse du funambule
Et la tendresse du poète
Pour suspendre le temps qu’accomplirait l’instant
En remettant ces rêves sur de meilleurs chemins. »

Le blanc domine ici. L’âme et la neige s’y rassemblent avec l’élan du
désir pour colorer l’ensemble.

« Femmes…
C’est encore vous en plein soleil au balcon à midi
A qui mon cœur fait signe quand vos rires hirondelles
S’envolent dans le bourg au printemps par dessus les murs »

Dans la poésie de Sylvestre Clancier, on s’abrite sous un espace quotidien où la chaleur des mots rejoint quelque part celle des corps.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 20, second semestre 2005.

Danièle CORRE : D’un pays sous l’écorce (Prix Troubadour 2004), (Cahiers de Poésie Verte: Jean-Pierre Thuillat, Le Gravier de Glandon – 87500 Saint-Yrieix) Abt. 4 no/an: 20 euros.

Tous les deux ans (années paires), la revue « Friches » décerne son « Prix Troubadour » qui, en 2004, fut attribué à Danièle Corre pour un livre, « D’un pays sous l’écorce », préfacé par Georges-Emmanuel Clancier, dans lequel les mots du quotidien recouvrent des sentiments où la nostalgie, si elle est omniprésente, n’en révèle pas moins de douces envolées. Les mots de chaque jour, les gestes du familier, sont autant de notes de musique que Danièle Corre distille comme parfum de simples. Sous la rugosité des gestes ordinaires, elle dessine des émotions rares, des pensées fertiles, et sa poésie s’installe dans le calme discret de la vie de tous les jours avec, en plus, cette pointe de légèreté qui en fait le charme.

« Un grand chien fidèle hurle quelque part,
la patte prise entre deux pans de mémoire.
Des enfants dévalent les heures
dans le silence défait
où je chasse les mouches d’un geste distrait. »

Sous l’écorce, en effet, la vie s’organise. Elle « court dans les ornières, afflue de toutes ses eaux, / jusqu’à lécher des images… » que l’on rassemble à la veillée. Danièle Corre nous offre là un livre ouvert sur les beautés d’un monde ordinaire, et c’est une leçon d’humilité à laquelle il est bien difficile d’échapper.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 20, second semestre 2005.

Jean-Claude Albert COIFFARD : Ce peu d’éternité, préface de Jacques Taurand (Sac à mots).

Dès l’abord, Jean-Claude Albert Coiffard, en un poème qu’il dédie à son préfacier Jacques Taurand, précise que sa poésie est de celles qui privilégient la confidence.

« Approchez-vous du livre
car je vais parler bas »

Les mots, ici, dans leur simplicité première, sont gorgés de sève et de tendresse. On les sent palpiter en même temps que le poète utilise leur rondeur, leur chair suave, afin de nous confier combien la vie est belle sous le ciel bleu de la poésie.

Parler bas, c’est développer l’échange entre personnes de la même obédience, c’est partager les foisonnements de l’âme, les élans chaleureux du corps qui défie les ans en compagnie de la tendresse. C’est aussi écouter…

« … la plume
qui roucoule
au bord de l’encrier ».

On sait, dès lors, que Jean-Claude Albert Coiffard privilégie l’amitié et sa douce chaleur humaine. Comme Robert Momeux (dont le style est proche et la teneur voisine), il pourrait affirmer : « tous mes amis sont des poètes » tant on le sent attentif à ces « merveilleux perdants » auxquels il dédie ses textes nuancés, gouleyants, fruités comme de bons vins, superbes.

« Ce peu d’éternité » est l’œuvre d’un poète authentique, cousin d’Eluard et de Max Jacob, dont la personnalité s’affirme dans le foisonnement de sentiments élevés et la couleur des mots choisis.
Un livre chaleureux ouvert sur le présent.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.

Francis CHENOT : Bûcheronner le silence (L’Arbre à paroles / Ecrits des Forges) – 90 pages – 12 €.

Rédigé à la Maison de la Poésie de Trois-Rivières au Québec, en « résidence d’auteur », du 19 décembre 2005 au 21 janvier 2006, cet ouvrage de Francis Chenot, par la légèreté du style, l’intensité du propos, se présente comme autant de flocons de neige dans ces pages où règne le silence de l’hiver québécois, comparable au silence ardennais.

A la fois semblable et différente, la neige s’installe dans ces textes comme en un pays où la grâce et l’espace sont de connivence, où les hommes partagent les rigueurs de l’existence et les plaisirs de chaque jour, avec cette bonté d’âme qui abolit toute superficielle ambition. Ici, l’authenticité chaleureuse préserve du froid. Les bûcherons de la poésie, qu’ils soient québécois ou belges, sont animés des mêmes sentiments à l’égard de la nature, quelque part hostile, mais générant toujours de chaudes amitiés entre les individus qui la partagent. La rudesse du climat rappelle à Chenot le « grand-père Batisse » (Jean-Baptiste Chenot), cet « homme de mots justes » tant les québécois ont l’accueil généreux.

« Il fait bon dormir
au chaud dans l’hiver
quand le silence
vous enveloppe
de son aile de neige
et vous rassure »

Dès l’abord, Francis Chenot joue avec les mêmes mots d’un texte donné :

« Engoncé dans l’hiver
le silence
écoute la neige »

… et reprend, sur six pages, des variantes qui rappellent ces flocons, toujours les mêmes et toujours différents, et c’est un bonheur que de l’accompagner dans ces subtiles retombées.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.

Patricia CASTEX MENIER : X fois la nuit (Cheyne éditeur) 70 pages – 13,5 €.

Patricia Castex Menier, bellement inspirée par la nuit, nous offre quatre séries de textes (« La nuit à soi », « La nuit du chant », « La nuit des autres », « La nuit du lieu ») dont le dénominateur commun est de multiplier les audaces en ces heures particulières où le négatif occupe la pensée des artistes et les rêves des gens ordinaires. La nuit, présente en de multiples points de cette œuvre, pourvoyeuse d’images et de réflexion, se décline comme une évidence que les hommes de tous les temps redoutent et appellent.

« Toute
d’un bleu
de mer Egée

pour
l’enfant précipité
dont
ne se souvient
même plus

l’assurance
des hirondelles. »

Avec « X fois la nuit », Patricia Castex Menier éclaire les instants sombres de la vie et ses lanternes, « Tremblantes au bout du bras // précèdent / les consciences scrupuleuses ». C’est dire qu’elle donne cette « nuit mode d’emploi », avec ses risques et ses fureurs, avec ses masques et ses clartés sauvages. La nuit et ses mystères gouvernent les poèmes de ce livre envoûtant qui, de page en page, nous entraîne vers ces contrées où perdure l’imaginaire et où l’individu apprend à fixer ses repères et ses lieux.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.

Cristino CORTES : Le Livre du père (O livro do pai) – Version française de Jean-Paul Mestas (Les Presses Littéraires ; 48 pages 8 €)

Avec, dès l’abord, un dessin signé Miguel Barbosa, un encouragement chaleureux d’Henri Bernier en quatrième de couverture et une traduction de Jean-Paul Mestas, Cristino Cortes entre dans le domaine de la poésie francophone bardé d’atouts majeurs. Son livre, le dixième publié de cet économiste de formation, né en 1953, est un hommage au père. Dès les premières pages de ce recueil, Cristino Cortes précise : « Je ne me situe au-dessus de personne », et cette humilité naturelle se retrouve dans la plupart des pages de cette œuvre dont le sentiment filial est au diapason des battements du cœur. Le père malade, le père qui décline, le père qui quitte le monde des vivants, sont autant de drames que chacun d’entre nous a vécus ou vivra. « Je suis resté plus riche d’avoir tant appris de lui – Avec toi mère… qui me donna de ne pas l’oublier davantage ». C’est dans ce « Hall d’hôpital » où « chaque blouse blanche est un ange et un saint » que s’opère le passage des générations. Le père meurt, le fils témoigne en poète, avec amour et respect de la vie et du temps qui passe… et le petit-fils, déjà présent au nombre des vivants, qui ouvre les yeux sur l’avenir radieux de la tendresse humaine.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.

Jean CHATARD : Les Archives de la nuit, préface de Francis Chenot, L’Arbre à paroles, coll. Anthologies, 2006 ; 210 pages, 25€.

C’est un bien beau panorama de la féconde création poétique de Jean Chatard que nous offre ici L’Arbre à paroles. Pas moins de vingt-deux titres de : ‘Bruits d’Escale’ (1967) aux ‘Archives de la Nuit’ (2005). Cette rétrospective s’appuie sur des textes judicieusement sélec-tionnés, permettant de prendre la mesure du talent multiforme de ce ‘bourlingueur de mots’, ainsi nommé par Francis Chenot en lever de rideau. Ce propos liminaire est d’ailleurs fort éclairant sur la trajectoire de vie autant que sur la poétique de l’auteur. Francis Chenot ne manque pas d’évoquer le riche champ lexical de Chatard, ses mots favoris, ses coquetteries verbales, son goût de l’apocope (‘encor’ pour encore) mais, surtout, l’étendue de son registre poétique, sa grande maîtrise du vers, régulier ou non. Et Chenot de souligner que le poète a autant navigué sur les océans que ‘sur la mer des mots’, ce qu’en son temps Robert Sabatier avait déjà mis en évidence, évoquant son « lyrisme symbolique, fantastique, le ton de la navigation rimbaldienne, de la migration et de la quête. » Fait suite à cette préface une introduction de Jean Chatard : ‘Les Chemins profonds’ où l’auteur se penche sur la fonction de la poésie et en particulier la sienne : « C’est le rôle de la poésie de donner à chaque mot sa ‘véritable extase’ et c’est le rôle du poète de délaisser la narration (nécessairement ‘linéaire’) au profit d’images insolites, rattachées à une réalité qui est le fondement même de tout agissement humain. » En quelques pages et avec force, pénétration et grande finesse, Chatard, en pédagogue averti, développe sa théorie dont on comprend qu’elle est avant tout alchimie, voire délire du verbe, création d’une réalité seconde à partir des matériaux bruts de notre existence. Le poète – et la poésie de Chatard en est un probant exemple – doit « s’investir dans l’imaginaire. »

La poésie de Jean Chatard, en effet, est une voile étarquée, offerte aux vents du globe. Son lyrisme pudique trouve son extraversion dans l’alibi des équipées au long cours, dans le jeu des éléments qui souvent se déchaînent. Les passions humaines ne sont-elles sœurs des ivresses océanes ? La métaphore tourne à plein dans une langue qui emprunte sa saveur, ses couleurs, ses sons, ses parfums à l’univers marin, à l’exubérance des rivages lointains. La langue de Chatard est aérée, tonique, fouettée par les embruns, le sel, ballottée par les flots. Il se crée sous sa plume un fantastique naturel, je veux dire empruntant sa dramaturgie à la démesure des phénomènes qui agitent l’univers marin : « Posé sur la lumière, le vertige aux abois, traversé / de toutes parts, hissé jusqu’au garrot de la / parole, blessé par les couleurs, j’écoute l’équipage / lancer ses cormorans à la poursuite d’une ondée. / Je donne cette mer palpée jusqu’à l’ivresse du ralenti. Je noue les villes. // Toujours levé aux aguets, dans la faille, toujours / contraint de virer l’aube, j’amarre au pas / de son ombre minérale le pas ténu / du limon psalmodiant… (…) … Jeté là, consumé, assailli, perdant mes branches, / oubliant la peur à porter, brisant mortel, j’attends / la pluie qui me fera trembler. // La dérive épelée, les zones d’ombre déjouées, j’entre / en marge du port où le sexe interroge / je / laisse ma sève aux profondeurs. »

Mais le secret de Jean Chatard est peut-être de savoir finement lier l’intime à l’espace, de privilégier l’écho plus que la source phonique, de naviguer de l’infiniment grand vers l’infiniment petit, du cosmos au microcosme, de l’homme-poète au poème qui se veut sa quintessence. Les images chatardiennes se nourrissent de tout ce que leur offre l’opéra marin et portent à un haut degré d’exaltation l’angoisse existentielle indissociable de cette tumultueuse traversée qu’est la vie. Tout est correspondances dans cette poésie qui a pour vocation de dissoudre l’humain, de le fondre dans ce vaste décor dont il n’est qu’un éphémère avatar : « Naufragé de l’espace et naufragé du temps / je mouille une ancre bleue / sur les passions du nord // sur les ombres jetées aux passants fatigués / par le cortège des années // Je trouble un peu l’hymne de l’if / et prends corps sur l’esquif / qui musarde au soleil / de nos passions données // Accroché à ces bruits sans cesse répétés / je ravaude le ciel et je tends la limaille / au semeur qui se tait // J’écoute moudre l’eau et nais à d’autres chants… » Dans ce périple où l’on accompagne le poète, où l’on fait escale à ses côtés dans ses ports favoris, on voudrait citer et citer encore ces belles échappées poétiques sur l’infini. Invitons le lecteur à monter à bord de cette anthologie et à se laisser porter sur les vagues des pages pour son plus grand plaisir : « …Tout donner à l’instant qui voyage autrement / à l’aujourd’hui menteur capable s’il le faut / de dessiner ces ports à l’enseigne du temps de n’être / plus les nefs que la mémoire coud à petits mots d’amour // Je fus présent à l’abordage où des nuages mous / prenaient part au concert tissé dans les haubans // C’était le fol herbage et c’était la clarté / quelque chose de vif qui magnifiait le blanc : l’écru et même la sueur (qui tenait lieu d’alliée) // Ô mes matins d’heures volées ô mes outils / de calme plat je fus l’enfant perdu dans ces naufrages / capable de mourir par un regard blessé // La charpente est solide mais le cœur se défait // Chaque poème me surprend et sa rouille me sied / et son humeur chavire selon l’if ou le faon ».

©Jacques Taurand

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.

Hélène CADOU : Si nous allions vers les plages (Rougerie Éditeur, mai 2003 – PNI)

Si nous allions vers les plages… Qui n’a pas été tenté de se retrouver, à de certains moments de son existence, sur cette avant-scène où le spectacle se joue à perte de vue sur l’immense foule des vagues ?… Hélène Cadou, d’une écriture volatile, à peine posée sur le sable de la page, moins que les pattes d’une mouette échappant à notre approche et ouvrant ses ailes vers un autre horizon, nous entraîne à sa suite, là où tous les souvenirs se nouent avec le vent dans la rumeur du grand large de notre destin.

Les paysages évoqués semblent sortir d’un keepsake des années Vingt, comme ces pâles photos parsemées de taches brunes : «…Ici / Elle se souvient / D’une époque / depuis longtemps jaunie… (…) Cabines de bain / Lignes géométriques (…) … le brocante des villas… (qui) … un instant surprises / retournaient à leur ennui… (…) …Les dunes s’écoulent comme des sabliers…(…) … Sur la promenade / Les regards / suivaient des robes / Envolées…(…) … Le garçon versait une menthe / Où se noyait la mer… (…) …Sur les balustres / Du grand hôtel / Le soir se penche… (…) … Chaise longue // …Après-midi / En creux… (…) … Absence / D’une forme / Devinée sur la toile… (…) … L’ancien bazar / Avait refermé / Ses portes // La ville / Lentement / Se rouillait…» Ainsi l’auteur tresse avec grande subtilité ces petites sensations qui font alliance avec les choses de la vie et remuent en nous les lames de fond de notre mémoire. Puis se succèdent des pages que l’on contemple comme les albums des différentes périodes de cette vie que l’on sait prématurément brisée par la disparition de celui qui n’avait que trente et un ans – mais toute une œuvre accomplie – lorsqu’il entra dans la nuit… : « Il manque à sa place / Et nul ne peut le voir / Même en pleine lumière // Puisqu’il est à jamais / Dans la perte et l’oubli / Dans le silence du regard // Et même si vous brûlez / Si des pas fébriles s’attardent // Il manque à sa place. »

« Cette journée de la terre / Que l’on voudrait éternelle… », Hélène Cadou nous l’offre ici pleine « Des fleurs des fruits et des sèves » qui irriguent une âme et une vie transcendées par la lumière d’un grand partage en poésie.

©Jacques Taurand

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 21, premier semestre 2006)