Le Gant perdu de l’imaginaire, choix de poèmes 1985-2006, Christophe Dauphin, préface d’Alain Breton, éd. Le Nouvel Athanor, collection « Les Cahiers du Sens ».

Dès l’abord, avec les titres des divers ouvrages qui composent une œuvre déjà abondante, on sait que les mots importent beaucoup pour Christophe Dauphin qui les utilise avec autant de passion que de brio afin d’affirmer un style à la fois anarchisant et tendre, révolté et sensuel.

Le Gant perdu de l’imaginaire rejoint par son ambiguïté d’autres titres, comme La Nuit en équilibre (éd. Le Milieu du jour, 1993), Les Vignes de l’ombre (éd. La Bartavelle, 1996), L’Abattoir des étoiles (éd. Librairie-Galerie Racine, 2002), ou encore La Banquette arrière des vagues (éd. Librairie-Galerie Racine, 2003) et quelques autres, soulignant un principe d’originalité attiré par une connaissance aiguë de la poésie et de la poésie surréaliste en particulier (on se souvient de son récent essai, publié en 2006, Marc Patin, le surréalisme donne toujours raison à l’amour). L’intérêt qu’il porte dans ses études à James Douglas Morrison, Jacques Simonomis, Jean Breton, Verlaine et Sarane Alexandrian, est significatif dans la mesure où chacun de ces créateurs détient une part tout à fait personnelle dans le panorama poétique que Dauphin explore avec cette curiosité gourmande que l’on lui connaît.

Avec Le Gant perdu de l’imaginaire il rassemble des poèmes choisis dans une dizaine d’ouvrages publiés de 1985 à 2006 dans lesquels il puise allègrement en offrant le meilleur d’une production parfois déconcertante mais toujours porteuse de lumière et de générosité.

Christophe Dauphin, dans sa poésie comme dans ses autres activités littéraires ouvre large l’horizon de l’investigation et les thèmes traités dans Le Gant perdu de l’imaginaire sont ceux d’un citoyen préoccupé par la tolérance, le paupérisme, le racisme et tous les maux et toutes les joies qui accompagnent les hommes d’ici et ceux d’ailleurs.

« Et je te nomme poème / Dans tes yeux je plante ma certitude et mon dégoût / Le jour se lève et la guerre a oublié ses cendres »

On referme ce livre anthologique avec le regret que le choix des textes retenus ne soit pas plus large. Mais nous savons qu’il représente une façon de prendre date car l’œuvre de Christophe Dauphin se poursuit dans la magie d’une inspiration toujours présente.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 352, septembre 2007

Christophe DAUPHIN : Le gant perdu de l’imaginaire, choix de poèmes 1985-2006. Préface d’Alain Breton. Editions Le Nouvel Athanor, collection Les Cahiers du Sens, 15 €.

« La lune a mis ses bretelles sur l’idée de la beauté / Un train déraille dans la bouteille de la nuit… » Ces deux vers, en incipit, indiquent au commun lecteur peu ou non averti de l’image ‘surréelle’, qu’il va devoir ‘s’accrocher’ s’il veut ici comprendre et seulement ‘comprendre’. Dire cela peut paraître relever du truisme, de la banalité mais n’y aurait-il pas quelque manière de dédain à l’endroit de ce lecteur lambda, auquel fait évidemment défaut une culture poétique indispensable, une initiation, et qui, entrant de plain-pied dans une certaine forme de la poésie, ne manquera pas de s’exclamer : « Ne soyons pas étonné de la désaffection du public à l’égard d’une poésie qui requiert un décodeur ou, à tout le moins, un mode d’emploi ! » Est-ce à dire que la poésie, qui se veut universelle, ne s’adresserait paradoxalement qu’à une élite ou au seul lectorat des poètes ? Bien entendu il y a quelque exagération dans mon propos mais il n’est pas tout à fait improbable que, confronté à ces vers : « Les mains du temps / aux épithètes d’insectes nus… (…) …Le ciel gris a les dents longues / L’œil de la neige est une forêt qui roule comme une pomme… (…) …Les locomotives mâchent les étoiles de tes reins dans les yeux des grenades… (…) …Le poisson-poignet décapite les œillets de l’hiver / Et le poète taille des volcans à la hache de ses émotions… », le lecteur que j’évoque demeure interdit pour ne pas dire désarçonné ; et il n’est pas certain que la fine préface d’Alain Breton, parfaitement en phase et en osmose avec la poésie de Christophe Dauphin lui apporte une clef pour pénétrer les arcanes de celui qui se veut : « … l’exécuteur des hautes œuvres de la magie, le conciliateur éphémère mais prodigue de ses contradictions, le messager qui bague les grands fonds. » C’est dit. Seulement voilà, démonstration est faite avec cette anthologie que l’on ne peut aborder la poésie de Dauphin – comme toute poésie authentique d’ailleurs – avec sa seule raison raisonnante, avec son seul intellect pour outil de compréhension mais avec la globalité de son être physique et psychique, mais avec tout son être en éveil et en jugulant cette raison qui, comme le disait Picabia ‘est une lumière qui me fait voir les choses comme elles ne sont pas’. Il n’est pas fortuit que l’auteur, en avant-dire, prenne la précaution, en quelques lignes, de nous mettre sur la voie, et de nous confier cette clef indispensable : ‘l’émotivisme’. L’émotion-active, celle qui précisément crée la rupture nécessaire avec l’habitude qui émousse notre regard et anesthésie notre sensibilité. ‘L’émotion, précise Christophe Dauphin, fait fonction d’alarme transmettant un message minimal certes, mais vital’. Et cette émotion est provoquée par l’image poétique jaillissant du contact inattendu de deux réalités situées dans des plans ordinairement éloignés. Ce rapprochement soudain et insolite crée une troisième dimension, une réalité supérieure où fulgure l’éclair d’une vérité. « La valeur de l’image dépend de la beauté de l’étincelle obtenue. » écrivait André Breton dans le Manifeste du Surréalisme. Et de ces images-choc la poésie de Christophe Dauphin foisonne. Ce haut langage qu’est la poésie portée à sa plus vive incandescence et qui embrase et embrasse l’homme dans sa totalité, Dauphin le résume ainsi : « poème : champ d’action / circuit d’énergie à la fois récepteur et émetteur / rapport intime entre la chose et le langage / vibration dépassant le mot / communication sensible avec les choses l’individu et le monde ». La poésie de Dauphin se veut déstabilisation, sollicitation de la conscience du lecteur qui ne peut l’appréhender qu’en laissant agir les images sur son subconscient, son imaginaire. En ce sens Alain Breton a raison d’écrire : « … l’image inventive y caracole… mustang aux cadences infernales. Les visions grouillent, prises aux cheveux de l’onirisme… ». Car la poésie est ici état second, rêve fécond. Le plomb de la réalité y est transmuté en ‘or du temps’, celui que cherchait Breton. Laissons quelques vers nous en persuader : « Place Venceslas / Ton rire soulève la neige des amandes / Je l’entoure de fougères / Le feu est sur tes hanches // Glaïeuls en alerte / L’été noir des luzernes // Le poème sera ton regard dans le miroir des ombres / Tendu sur moi couteau du vertige // Il pleut du sable et du coton / Ta chair je l’écrase entre deux cris / Graffiti sur l’épaule des comètes / La Vltava se referme comme une page sur ta nudité » Ou : « Dubrovnik / Ton corps est l’impasse de mes mots / Ton corps est la bouée de sauvetage de la beauté / Et je te nomme désir / Dans la nuit qui se déplie comme une paupière de solitude / Pour bâtir l’atelier du soleil…(…) … L’avenir aux muqueuses cannibales / C’est une femme engendrée par l’amour / Qui se dépose dans mon œil // Le gant du rêve dans la joue du réel / Les combats et leurs rues sans nom sont encore proches… » Ou encore : « C’est une bastide c’est un monde / où le réel ouvre toutes les fenêtres du rêve / dont le gant cherche la main perdue / qui t’habillera comme on habille l’amour / qui est ta fenêtre / qui est un tableau / trois yeux fendus par la neige / qui est la trace que tu habites / et que la bastide dévoile dans le soleil de ton pas. » Et pour conclure ce qui pourrait être un fragment de manifeste : « Creuse ta chair / Malaxe tes régions reculées / Les lieux du crime // Construis une gare dans la serrure de tes nerfs / La salle d’attente du désir insoumis / L’énergie thermo-nucléaire du sang insurgé / Tes tripes jouent au poker dans les yeux d’un chien perdu // Creuse / Creuse… / sabote tes sens / Demeure la balle qui se chauffe jusqu’au blanc »…

Il appartiendra au lecteur lambda de glisser ou non sa main dans le gant perdu de l’imaginaire qui n’est pas perdu pour tous.

©Jacques Taurand

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.

Christophe DAUPHIN : Verlaine ou les bas-fonds du sublime, 2006, 96 pages, 12 €, (éditions de Saint Mont, 58, rue de Nogent, 95290 L’Isle Adam)

En aura-t-on jamais fini avec Verlaine ? La personnalité si contrastée de l’auteur de Romances sans Paroles, attirante et repoussante tout à la fois, – où tant de clarté se mêle à tant d’ombre – est ici, une fois de plus, approchée par un poète de notre temps qui n’a pas oublié ce que tous les poètes doivent au Pauvre Lélian.

Christophe Dauphin s’attache en particulier à rétablir cette unité de l’homme et de l’œuvre – ce que trop de critiques ont négligé. Il nous restitue ainsi le poète dans sa dynamique de vie, c’est-à-dire « dans sa globalité ». Christophe Dauphin met en évidence un point capital : la liberté de tempérament de Verlaine qui lui a permis de briser les chaînes qui l’attachaient à la prosodie traditionnelle comme à la glaciale beauté du Parnasse. Il a su en effet créer son propre registre, conférant à son chant ces vibrations si particulières auxquelles ne sont pas étrangères, on le sait, les brûlantes influences des flammes rimbaldiennes. « Car – écrit Dauphin – un ton apparaît avec Verlaine. Jamais plus, après lui, la poésie ne sera ce qu’elle était avant dans la forme… »

L’auteur de cet essai a raison, en outre, d’insister sur le fait que Verlaine était peu soucieux de cette « longue patience du génie » qui hanta Mallarmé, soulignant fort judicieusement, que le créateur de L’Art Poétique « a vécu plus poétiquement qu’il ne lui parut nécessaire d’écrire de la poésie sans la vivre.»

Christophe Dauphin, avec sa fine acuité, nous donne à lire des pages émouvantes et justes sur celui – symbole du poète et de la poésie – dont le cœur ne cesse de battre dans le marbre de l’éternité.

©Jacques Taurand

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.