Encore un livre fascinant d’Hervé Delabarre. À propos d’un précédent, Effrange le noir (Librairie-Galerie Racine, 2010), nous nous plaisions à débusquer « un Éros mêlant sa sourde menace à un irrésistible attrait ». De même ici, le prière d’insérer relève à bon droit une « violence persillée de tendresse », quand le poème s’essaye Détournement de mineure/ À moins que vous ne préfériez les charmes de l’inversion/ Ou les scandales de l’oxymore.
Deux parties dans ce livre où se subit une sorte de déniaisement poétique ; deux troublantes séquences d’un film onirique, entre Bergman et Buñuel, oserait-on dire :
– en premier, Elle joue à naître, quand le virginal devient proie, quand la jeune fille porte le danger au bord d’un cil, meurt peut-être, sourdement, À coups comptés, renaît (Passée la communion) où elle s’oublie, oubliée, inoubliable, où l’improbable du crime nourrit la hantise, tout comme l’incertitude des « délits » fermait le livre Effrange le noir ;
– en second temps, Les Hautes-Salles, poésie où le « vers » souvent s’allonge, la « strophe » se densifie, pour atterrir en la prose de la conclusion, « Retour à l’origine » : ici, l’épanchement de mémoire est celui d’un enfant masculin, rêve en dérive (Les vieux fantômes des dieux défunts/ Qu’une main d’enfant tient en laisse). La toile de fond : le Saint-Malo de la guerre et de sa destruction. Le fantasme y vient toujours en surimpression des lieux ruinés, cette rue des Hautes-Salles :
Dans un décor dont il ne reste rien
Rien qu’une vibration blanche
La femme est là
À demi nue assise
[…]
Par quels détours
De par la nuit des temps
À quel étage
Par quel couloir
A-t-on mené l’enfant
Pour l’arrêter devant elle
De retour, bien des années après, dans l’hôtel reconstruit et désert, l’homme ainsi devenu s’arrête devant une porte : nimbée du plaisir qu’elle retient, la femme est là (a-t-elle seulement jamais quitté ce lieu), prête à lui enseigner le fin mot de l’énigme : Il hésite encore à franchir le seuil et espère seulement que c’est bien ainsi que sera sa mort.
Tout au long du livre, d’admirables variations sur les vertiges du temps et du désir.
©Paul Farellier
Note de lecture in Les Hommes sans Épaules, n° 35, 1er semestre 2013.