Jacques FERLAY : Aller simple – Préface de Paul Van Melle (La Lucarne ovale Éditions – Avril 2005 – 12 €)

Oui, Paul Van Melle a bien raison de souligner que l’œuvre de Jacques Ferlay – un des rares poètes qui ne font pas de bruit mais de la vraie poésie – est ‘déjà imposante’. Emile Ducharlet, sympathique et efficace éditeur ‘qui monte’, nous propose ici, joliment relié et portant en couverture « Quatre jeunes filles sur un pont » d’Edvard Munch : ‘Un aller simple’ (qui vaut largement le prix du billet !) Si « L’humour est une tentative pour décaper les grands sentiments et leur connerie » comme l’avançait Raymond Queneau, alors, ici, à chaque page, ces grands sentiments sont passés au ‘Karcher’ de l’humour Ferlaynien. Un humour tendre, parfois un brin caustique, par seul souci de rester pudique – une qualité de nos jours en voie de disparition. Cette suite de textes forme une galerie de petits tableaux dont chacun nous offre une scène de la vie à la meilleure manière du poète. Tout son art consiste, partant de l’objet et de sa préhension sensorielle, à dériver vers l’abstrait, autrement dit à passer finement de la chair savoureuse du vécu à la subtilité de l’esprit. Je suis très admiratif de ce talent – dont j’avais déjà noté les heureux effets dans d’autres recueils – qui, s’emparant de notre ordinaire le hisse soudain au plan de l’extraordinaire. N’est-ce pas précisément cela la poésie : un regard qui habille de neuf cette réalité que ternit l’habitude : « Sur la table des dimanches / deux cygnes de porcelaine / offrent la lumière du sel, / larmes séchées de la mer / sur la joue de la Terre.» (Révélateur) ; ou : «Dans l’évier de pierre usée / où baignent navets et carottes / elle retrouve dans ses mains / la caresse des toilettes d’enfants… » (Pot-au-feu) ; ou encore : « Dans l’ombre anisée du bistro / de vieux copains peut-être récents / jetaient sur un tapis lie de vin / aux réclames éteintes / tous les atouts d’une vie avare. » Ce poème, qui a pour titre ‘Dame de cœur’, ne serait-il pas un clin d’œil au Cézanne des ‘Joueurs de cartes’ ? Mais le ton de ce recueil peut aussi – sans se départir de l’humour ou de l’ironie – plaquer de graves accords : ainsi dans ‘SIDA’ ou ‘AVATAR’ ; car Jacques Ferlay, en douceur et délicatesse, sait évoquer la détresse aux multiples visages ou le questionnement existentiel de l’humain bipède, cette angoisse métaphysique qui peut s’appeler ‘aller simple’ au jeu de la marelle qui nous ‘dépasse’ : « C’est encore loin le ciel ? » Feu Jacques Simonomis n’aurait probablement pas rougi d’être l’auteur de ces poèmes, en particulier de la pièce intitulée : Jardin Public (un petit chef-d’œuvre de compagnon-poète). Allez ! Prenez votre billet, vous ne serez pas déçu de ce voyage en Ferlaynie – même si vous devez revenir par vos propres moyens !

©Jacques Taurand

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 20, second semestre 2005)