Trop méconnue, voire sous-estimée, l’œuvre de Maurice Blanchard est composée d’une quinzaine de volumes, de plaquettes, et d’un volumineux journal. Elle est de première grandeur. Il s’agit d’un diamant coupant, pur et inaltérable, lancé dans l’œil crevé de la condition humaine. Maurice Blanchard est le poète qui inaugure Riverains du feu (l’anthologie émotiviste de la poésie francophone contemporaine, que je ferai paraître, en juin 2009, au Nouvel Athanor), et ce n’est pas un hasard. Blanchard, qui a écrit : « Le poète n’est rien, c’est ce qu’il cherche qui est tout », est vraiment ce géant de la création poétique, cet aîné merveilleux et intraitable, qui n’a pas encore la place qui lui revient. Quasiment ignoré de son vivant, sauf de quelques-uns et non des moindres (René Char, Paul Eluard, Joë Bousquet, Julien Gracq, Mandiargues, Henri Michaux, Albert Ayguesparse, Marcel Béalu, Jean Rousselot…), Blanchard avait prédit qu’après sa mort, quelques jeunes redécouvriraient ses poèmes. Vincent Guillier est sans doute l’un d’entre eux. Tout comme Maurice Blanchard (Montdidier, Somme) et Marc Patin (Brenouille, Oise) les deux poètes surréalistes du cru, qui ont d’ailleurs travaillé ensemble à la SNCASO, dans l’aéronautique, Vincent Guillier (né en 1978) est d’origine picarde. Ce jeune homme, diplômé en Lettres et en Philosophie, s’est passionné pour l’œuvre comme pour la vie de Maurice Blanchard (1890-1960), et on le comprend. Il a notamment préfacé l’heureuse et attendue réédition de La Hauteur des murs (Le Dilettante, 2006), tout en concevant et en réalisant l’exposition sur l’œuvre du grand poète, en 2003, à l’université Picardie-Jules Verne. S’il ne saurait encore s’entendre comme exhaustif, l’essai de Guillier possède le grand mérite d’être véritablement le premier à défricher un terrain qui est trop longtemps resté à l’abandon, celui de l’œuvre-vie du poète-ingénieur de Montdidier. Né et mort dans cette ville de la Somme, Maurice Blanchard a connu une enfance pauvre, difficile et l’enfer du travail dès l’âge de douze ans. Il s’est engagé, en 1907, dans la marine pour intégrer l’Ecole des ingénieurs mécaniciens. Durant la Première Guerre mondiale, il sera l’un des rares rescapés de l’escadrille de Dunkerque. Dès l’armistice il intégrera définitivement le secteur de l’aéronautique, où il se distinguera comme un brillant ingénieur (s’associant avec Blériot et créant de nombreux prototypes d’hydravions et de torpilleurs). Il possèdera ainsi, dès 1924, sa propre société de constructions aéronavales et obtiendra deux records mondiaux d’altitude. 1927 sera l’année de la délivrance et de la révélation poétique. Durant l’Occupation, Blanchard intégrera le réseau de résistance « Brutus ». Parallèlement, il élaborera dans l’urgence, à vif, son œuvre poétique, et participera aux activités du groupe surréaliste de La Main à Plume, qui le reconnaîtra, et c’est une première, comme un maître. À défaut de devenir un membre à part entière du groupe surréaliste, Blanchard – franc-tireur intraitable – deviendra un compagnon de route, et se liera d’une amitié indéfectible avec Paul Eluard et René Char, qui l’admirèrent et saluèrent en lui : « Toute la vie jetée aux mots enragés, aux mots à face humaine. » C’est cet itinéraire que Guillier, tout au long de son essai (qui comprend également un cahier iconographique et un choix de poèmes), parvient à retracer, s’attachant particulièrement à faire ressentir l’importance du pays natal, des origines du poète et de son enfance-douleur, qui sera à l’origine de sa révolte et de sa colère ; enfance-plaie, dont, jamais, il ne cicatrisera. On remerciera aussi Guillier de ne pas s’être aventuré de façon hasardeuse sur le terrain glissant qu’est l’histoire de La Main à Plume durant l’Occupation, histoire que Blanchard a croisée et dont chacun sait, à présent, qu’en aucun cas, Noël Arnaud et Jean-François Chabrun n’en furent les « dirigeants », mais des membres controversés et pour cause. Le plus important demeure, c’est-à-dire, le génie et la droiture exemplaires d’un Blanchard, qui nous éloignent de la boue.
©Christophe Dauphin
(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)