Marcel HENNART : Clinique, suivie de Vigile de la lumière (Rougerie, Mortemart, 2003)

Simplicité reine qui se confie : il n’est plus d’indicible, tout peut accéder au poème sans nul besoin de cri ni torture de l’image. Marcel Hennart, en communion d’amour avec l’être le plus cher, en qui soudain loge le danger, nous donne l’un de ses plus beaux textes : la mort y passe tout près, aux aguets sous l’oreiller, entre les plis des draps.

Une chronique en confidence avec, d’abord, l’irruption de l’événement, datée avec soin mais familièrement suggérée : Les groseilles égrenées avec amour à quatre mains sont restées au fond du seau./ Le feu ne les a caressées. Le temps n’a pas eu le temps d’écumer leur écume […] ; puis, vécue de l’intérieur, l’hospitalisation (Rangés dans les grands sacs, la montre au poignet, les photos tant regardées, la chemise même, précèdent le corps dans son abandon à d’autres mains […]), expérience si bien partagée qu’on ne se demande même pas qui des deux fut le malade puis le guéri – comprenant que c’étaient tous les deux ; puis encore, les moments d’angoisse, de doute et d’espoir où est guettée la résurrection : elle seule aurait pu m’entendre,/ et je ne pouvais blesser son réveil/ de ma solitude immense/ qui me brûlait/ et il n’était alors/ très longuement/ de main amie que je puisse serrer/ son corps […] ; avec enfin ce retour dans la maison de la vie : Humble conquérante aux pantoufles de plomb, tu reprends possession à pas mesurés […] Ton corps se défait lentement avec douleur de son absence.

Une suite de quelques brefs poèmes, Vigile de la lumière, vient conclure ce livre dans la fascination de l’instant, ce fragment d’éternité si fragile et si persévérant à la fois, dont le poète s’est constitué le gardien fidèle (voir Traversée de l’instant, Rougerie, 2001, et notre note au numéro 11 des Hommes sans épaules).

Marcel Hennart : un poète qu’il faut lire et relire.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 16, 1er semestre 2004)

Marcel HENNART : Traversée de l’instant (Rougerie, Mortemart, 2001)

Avec Marcel Hennart, c’est toujours au plus profond que va la poésie : le pays du temps suffoque[…] au fond de nos gorges, touche aux limites mêmes d’une vie qui n’aura cessé de refuser son trébuchement, son arc-boutement épuisé/ dans le râle de son éternité. La lancinante question affleurant dans nombre de ses poèmes cristallise ici en ce fragment de houille : comment mourir l’instant où nous serons notre mort. Hantise d’un vide et d’un néant, souvent sensible chez Marcel Hennart et qui se manifeste encore dans ce recueil (regard/ douce prison des choses/ tu en es l’âme éclatée de son vide). Traversée de l’instant ou, si l’on veut, odyssée instantanée dont l’Ithaque pourrait être l’échouage en vacuité : Un instant, on sait d’avance qu’il n’est rien,/ qu’il va éclater entre nos doigts,/ sans même laisser une trace mouillée.[…] A peine un minuscule éclair au soleil pâle./ La vie scintille, c’est toute une vie./ Une éternité fond dans le néant.

Mais le poète n’en reste pas là, et ces pages de l’instant, effacé aussitôt devant l’instant qui le suit, sont aussi poème du Souffle (avec majuscule) qui habite, qui remplit de son infini et donne ainsi courage et lucidité devant la sépulture/ où tu bois enfin la vie, le bonheur d’embrasser la Terre ta mère tranquille/ en sa sourde éternité au-delà du tumulte de l’ombre.

Un beau livre qui se referme sur l’équation « Souffle = Lumière », pour que la nuit de cette chambre/ ressuscite jardin/ tout entier d’impossible été/ dans notre hiver.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 11, 2ème semestre 2001)

MARCEL HENNART : Aventure d’un souffle (Rougerie, Mortemart, 1996)

Voici un livre qui ne se lit pas sans effort : il y a là en effet une poésie étrange, sombre, défendant son territoire, non par l’opacité du sens ou les obstacles de la forme, mais à proportion de l’intensité du combat qu’elle semble livrer dans l’imaginaire. C’est l’enjeu de ce combat qui justifie l’effort de la lecture, et la beauté du poème qui le récompense.

L’adversaire – aux dimensions métaphysiques qui le montrent peut-être aussi adulé que redouté – est ici le vide, expressément désigné dès la page liminaire et à de nombreuses reprises dans le cours des poèmes. Ce vide, nié par deux oiseaux qui l’effleurent du désir de leurs becs, est inconscience du temps ; il n’est que clignotante mémoire en son néant précis pour le simple passant, ce mort/ qui fait semblant de vivre/ ce reflet échappé d’un miroir éteint à travers le vide du temps ; il est vide entre les herbes des rails qui s’en vont, s’effilochent à l’horizon ; vide assigné même par le sourire dans la sobre fulgurance de ce poème :

sourire à la fragilité d’instant
comme une eau qu’avive un reflet
en cette égratignure
de la lumière
où s’engouffre le vide.

Devant une autre mer, vide dont s’habille la vie, avant qu’ait percé les flots une sourde clarté ; et devant un même soleil […] appelant à un même chemin, un même vide où les ombres se perdent ; et vide aussi de la parole, construction de l’instant, bulle de vide où la pensée vacille en sa pérennité au bord de son abîme ; et vide encore du Parlant et de l’Écrivant lui-même : je ne suis ni ma tête penchée, ni ma main qui écrit, et ne suis non plus, et moins encore, ces mots qui leur répondent, je suis un vide du corps en mon corps, et qui le cherche et le quitte sans cesse en son unité insaisie.

Ce poète nous met donc en face d’une réalité : la mort, auteur d’un simulacre : la vie ; car tout homme meurt avant son heure et nourrit un fantôme en son regard. Dans le vide du monde il n’est pour lui de repos de corps ou d’âme où se loger. À sa fenêtre, devant la nuit finissante, immobile, sans poids, n’ayant de chair […] qu’en [s]on regard, il se meurt en [s]a joie d’un seuil, d’une aurore qui ne vient pas. Et au moment où le monde redevient monde, il ne peut le voir que près de crouler/ si l’invisible main se relâche/ à tout jamais dans le vide univers.

Beau livre, presque désespéré, mais qui, à l’affronter, procure une sorte de joie. Lecture dont on sort fortement ébranlé, notre vie résumée au bref instant mouillé de notre souffle, mais plus que jamais en recherche de ce que l’auteur invoque : ô difficile lumière de l’homme !

©Paul Farellier

(Note de lecture in Le Cri d’Os, n° 21/22, 1er semestre 1998, p. 131)