La préface, et c’est rare, ébruite sans complaisance un pan de l’histoire de ce poète ; ses grands défis à l’ombre encombrante du père, son parcours d’éditeur, son installation dans la psychanalyse, son aventure humaine. Elle dévoile un peu du voyou d’Éros, du voyeur mystique, du poète romantique et réaliste qu’il sait être à la fois. Présenté comme un auteur hérétique par Pierre Seghers, hanté par tout ce qui bout dans l’alambic du siècle, Jean-Luc Maxence propose un choix de poèmes courant sur quarante ans, réparti sur huit recueils et intitulé : Soleils au poing… On pourrait disserter sur le pluriel du titre, y lire tous les appels (Éros, Dieu, la poésie…) d’une passion comme démultipliée. Peut-être que cet extrait éclairera le lecteur :
Mais je n’avais pas encore pleuré à perte,
Pour comprendre quelle nuit claire d’après l’orgie
M’attendait à la porte, là-bas, du côté de la chapelle,
Pour faire de mes paumes des lampes éternelles.
Il s’agit du bilan d’un homme qui s’est engagé dans l’expression de l’art sans tricher. En cela, son œuvre coïncide avec les grands enjeux de la poésie de l’homme ordinaire : assumer son état de ludion lyrique, jongler avec ses contradictions et prendre le parti des déshérités contre les monstres engendrés par la société libérale (« Près du Parlement-guignol/ À la manière d’Éluard/ Ils ont écrit ton nom/ Coca-Cola »). La cueillette comprend des témoignages intenses de l’auteur sur sa vie et sur son époque. Maxence n’y cache rien : il a écumé les dangers de la nuit au plus noir de l’être, rencontré le « jeune beatnik éthéromane/ Qui vend des croix ivres/ Aux jaguars », tangué entre la vie et la foi, avec « des tentations d’en finir » et la volonté de « chasser ses viscères mystiques ». Non sans humour parfois, surtout dans son rejet des mondanités (« Mon nœud papillon est de travers », « Et tu prenais la fuite d’un air bien élevé »), les poèmes accumulent les témoignages sur des événements intimes, sur les amours qui tourmentent mais sont aussi fécondants, les douloureux tripotages fraternels, l’expérience – réussie – du divan, tous ces caïds d’une histoire individuelle compliquée dont les traits les plus marquants furent la solitude et le scepticisme qui envenimèrent l’enfance : « Je savais par cœur la fausseté du monde », « Puisque tout insulte la planète …/ Puisque tout meurt dans l’amertume des dieux ». Une étrange malédiction est évoquée parfois dans les pores de l’angoisse, comme une haine de soi : « On ficelle comme on peut le cadavre/ On décline la peur banale/ On est androgyne pour finir. » Des blessures morales, des hontes sont égrenées dans le chapelet des humiliations : « Vingt fois les femmes m’ont tué/ Vingt fois j’ai souhaité renaître/ Du désastre de mes nuits ».
Le poète, pour exalter le sentiment de la beauté, sait faire jaillir des formules souveraines qui expriment assez le rang que la poésie occupe dans sa vie : « Tuez-moi aussitôt si je ne chante pas vrai », ou « Ne dites rien qui ne soit neige ». Certains couplets magnifiques invitent même à une lecture magique :
Astronautes incas
Araignées d’écriture géante
Que dites-vous sur la pampa
Du temps qui meurt ?
©Alain Breton
Note de lecture in revue Les Hommes sans Épaules, 1er semestre 2012.