Isabelle PONCET-RIMAUD : Le Mors au cœur, Éd. du Cygne, 2013, 12 €.

On connaît la profondeur d’éthique dont Isabelle Poncet-Rimaud a su faire preuve tout au long d’une œuvre vibrante de vérité et de passion (ce dernier terme entendu au sens fort de son origine). D’abord animé et orienté par l’exigence divine – la foi vécue non comme consolatrice, mais comme porteuse de défis, de désirs et de soif de l’autre –, le poème plaçait d’emblée le destin personnel dans la quête d’un sens universel. Dans le livre Marche en la demeure (Éditinter, 2000), celle qui, dès le départ de l’écriture, prenait le monde en charge, mettait aussitôt le cap sur « le devenir d’être soi ». La même exemplaire sincérité du poète allait l’obliger, plus tard (Des taches sur la robe, Éd. du Cygne, 2009), à rendre compte du ravage provoqué, quand la foi s’en est allée, par la perte de toute « trace de soi/ dans les images du monde », comme elle le dit dans les pages les plus sombres du livre que nous découvrons aujourd’hui, avec ce « rien dissous/ dans le néant vivant » et « l’absence/ programmée ».

Il semble que l’enjeu de ce livre prolonge, après quelques années, l’idée du « devenir d’être soi » jusqu’à son aboutissement qu’on pourrait dire le plus naturel, c’est-à-dire au pays d’une mort dont on aura tenté l’apprentissage ; ce que suggèrent les derniers vers de la première partie :

Rien qu’une fenêtre ouverte
et tes pas trouveront la force
de franchir la porte.

Car cette première partie de l’ouvrage se veut elle-même un cheminement : les premières pages reflètent le dénuement (« vie trouée », « vie cloquée », « temps nécrosé », « plus de place en soi ») où déjà l’écriture tente de ressaisir le poème, d’abord avec humilité :

Cette chose mendiante,
qui bafouille à la porte
des mots,
[…]

puis dans la sorte de fermeté que rythme « le pas tranchant/ de l’écriture/ qui taille à même le sol/ ces rides profondes/ où germer le vivant. » Germination, c’est l’impérieux désir dont s’arme l’écriture, jaugeant successivement les rares secours qu’elle espère : les mots, de toute évidence, mais qui d’abord s’absentent, se refusent, « métronomes de ton silence », avant de permettre « la parole désentravée » :

À pointes de mots
le poème s’éveille,
[…]

Poésie,
le doigt du mot
sur la bouche
du silence

mais aussi d’autres amis, tirés du paysage, comme l’arbre ou la lune, et spécialement du « paysage allaité/ des eaux de l’enfance » ; amis bien nécessaires « de la femme si belle/ que l’ombre/ retournait au soleil/ comme un gant », quand il lui faut apprivoiser les sombres perspectives, « la tombe/ ce lit qui attend » ; au terme, est une reconquête : « Désormais, tu marches/ sans appui. »

La seconde partie du livre se compose de treize poèmes d’une singulière beauté, dédiés au père disparu :

Mon père de nuit revêtu
qui fais mes jours
blancs d’absence,
[…]

poèmes sobres, dans une lucidité d’écriture qui accroît leur vérité d’émotion. La perte d’un être égale la perte d’un monde et renverse le temps (« Père de l’envers des saisons »).

À l’écart de tout jeu verbal, dans une absolue justesse de ton et avec la vaillance d’âme que fait entendre son beau titre, Le Mors au cœur est un livre écrit pour chacun d’entre nous.

©Paul Farellier

Note de lecture in revue Les Hommes sans Épaules, n° 38, 2nd semestre 2014.

ISABELLE PONCET-RIMAUD : Marche en la demeure (Editinter, 2000).

Dans une langue très pure, débarrassée de « poétisme » jusqu’à un rien d’austérité, sensible surtout au début du livre, Isabelle Poncet-Rimaud nous précède sur ce chemin mystérieux où chacun, pourvu qu’il unisse désir, courage et lucidité, peut approcher sa propre vérité. L’oxymore du titre, Marche en la demeure, éclaire déjà singulièrement la portée spirituelle du parcours, comme le relève d’ailleurs le prière d’insérer dû à Katty Verny-Dugelay : La « marche » ou mouvement, ici comme une sorte d’arrêt en la « demeure », à l’intérieur de l’être, lieu de réflexion et de contemplation. Autre éclairage très vif, cette belle parole de Gilles Baudry placée par l’auteur en épigraphe à son livre : Sait-on que l’on trouve sa voie où le chemin se perd de vue ?

Nue mais riche d’origine, celle qui prend le départ de l’écriture met aussitôt le cap sur le devenir d’être soi. Elle n’est qu’à l’entame du voyage et, déjà, ne sait plus que pressentir/ le lieu lointain d’où elle revient […] Elle se sait seule/ dans l’amoureuse promesse d’être. On conçoit, dès lors, que la poésie soit ici à la fois, comme pourrait l’inspirer telle sagesse d’orient, la « voie » et le « véhicule », et aussi parade du rire des éternités ; elle place d’emblée le destin personnel dans la quête d’un sens universel unissant l’éphémère/ à l’infini/ des éphémères.

Mais bientôt s’éprouve la rudesse du parcours sur le chemin instable/ où crisse la lourdeur du pas : aucun avenir, le présent n’est que page vide de sens ou encore instant sans voix. Ce n’est que peu à peu que se feront jour les éléments d’une « méthode », d’une « règle de vie » : Être de nulle part,/ sauf de la soif/ de ses terres […] Il faut se désapproprier du visible,/ pour que se dise le secret du souffle […] Il faut taire les voix qui ordonnent/ pour que monte l’indicible […]

Seul le désir peut guider vers le lieu secret/ où demeurer. Quand se manifestent partout la main tendue des prières, […] l’humus des libertés, […] l’offre d’aimer, n’est-il pas tragique d’avoir peut-être oublié qu’entendre/ c’est s’abandonner ?

Non sans avoir aussi, et pudiquement, fait l’apprentissage du rapport à « l’autre » (Se désaltérer de l’autre./ Reposer en ses mots […] Mettre l’autre en sa liberté/ dans le lieu où se déployer. Lui tendre manne de vie/ au désert de ses faims […]), celle qui cherchait trouve soudain ; celle qui s’armait de préceptes – y compris celui de ne plus chercher – se voit brusquement libérée par la grâce inattendue où l’on reconnaît, une fois de plus, le coup d’éclat des expériences mystiques :

Elle regarde tomber la corde
qui la retenait.
Simple serpent sans plus de consistance.
S’ouvre la fenêtre sur le pays adulte,
arbre déplié dans l’air de ses désirs.
Elle tend les mains
et reçoit l’œil multicolore
des rosées qui lui teignent
les doigts des sèves à venir.

Mais, loin que la contrée rejointe soit en rien séraphique – ce qui pourra combler, c’est l’épaisseur d’aimer –, ce pays mien (invoqué comme pays engendré du plein/ dont n’émerge que le manque) attend toujours l’incarnation/ au risque de ta chair, une luminance/ aux terres réincarnées. Vers ces terres promises, c’est encore en l’aridité/ du désert qu’il faudra marcher la demeure.

Une intense prière, alors, s’élève, fruit du regard partagé :

Indique moi la confiance,
le retrait où se déprendre de soi,
l’écoute fragile où frémit ta présence.

[…]
Prête-moi l’amour
en écho confié
par toi.

Amour où il serait futile et vain de vouloir séparer le terrestre du céleste, quand s’arrondit le pas ferme des terres,/ se fend la saveur du ciel, et que le soir est annoncé (dans l’admirable page 56, poème de l’union mystique des contraires au plein du manque […], où l’endroit atteindra son envers,/ liant la mort/ à l’éternité de sa vie.)

Bien plus qu’un très beau livre, où a mûri l’ordinaire du silence, il faut le lire pour sa grande lumière.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Le Cri d’Os, n° 31/32, 2ème semestre 2000, p. 139)