N’y a-t-il pas à s’étonner devant les réussites des nouvellistes ? – des bons, s’entend. Il s’y révèle un art dont on éprouve d’autant mieux l’effet, que la cause et les moyens demeurent finalement mystérieux. Certes, cela pourrait se dire aussi, et même d’abord, de la poésie. Mais, moins attendu peut-être, le charme des nouvelles, surtout dans l’exemplaire sobriété de ce petit livre de Françoise Valencien, s’avère plus paradoxal : le plaisir, l’émotion, l’avidité de la lecture, la sorte d’affection dont on se prend pour cette voix qui raconte, et pour les êtres qu’elle suscite, tout cela naît d’une prose sans apprêt et de peu d’ouverture, d’un discours de confinement au réel le plus quotidien. Il est vrai que ce réel dissimule, de ci de là, un humour tendre et, plus souvent, des drames à la modestie déchirante.
Françoise Valencien, poète et prosateur, affectionne tout particulièrement le récit de la vie proche. Elle y débusque les secrets de l’immédiat. Jamais elle ne dédaigne l’esquisse sur le motif : ainsi dans les « brèves » qu’elle publie régulièrement et qui ne cessent d’affiner son art.
Avec ce dernier livre, elle nous fait exister pluriels : par le sourire d’un orphelin, ou la discrète fidélité d’une dame de compagnie, ou encore tel dévouement tranquille d’un travailleur social. Vers la fin, l’un de ses personnages réussit une parenthèse dans le quotidien, le bain essentiel qui lui rend le goût primitif de la vie multiple et l’allégresse dans l’Ouvert. Et, nous donnant plaisamment congé avec la remise à l’eau d’un jeune crustacé doté d’une nouvelle carapace, le livre peut ainsi s’achever sur cette souriante parabole justifiant, et son titre (La Mue), et son épigraphe, empruntée à Mireille Fargier-Caruso (Tu vas vers ce qui te fait autre).
Une discrète philosophie de la vie et du monde, dans une écriture d’une parfaite simplicité.
©Paul Farellier
(Note de lecture, in Les Hommes sans épaules, n° 20, 2nd semestre 2005)