Serge WELLENS : Il m’arrive d’oublier que je perds la mémoire, 10 €, (éditions Folle Avoine, juillet 2006)

La poésie de Serge Wellens, dès 1958, fut appréhendée par Louis Guillaume et Jean Rousselot comme « Un acte d’amour vers l’homme » (Revue : Le temps des hommes, Rougerie Editeur). Les années écoulées n’ont fait qu’accréditer ce jugement. Avec ce nouveau recueil, deuxième volet d’un triptyque en cours, l’auteur, solidement campé dans la (et sa) réalité confirme ce que Rilke avançait dans Les cahiers de M. L. Brigge : « Les vers ne sont pas, comme certains croient, des sentiments (on les a toujours assez tôt), ce sont des expériences… », et qui fait écho à ce que, plus tard, Max Jacob écrivait dans Le Cornet à dés : « Tout ce qui existe est situé. »

Il est heureux qu’il arrive au poète d’oublier qu’il perd la mémoire, celle qui occulte parfois l’essentiel et l’essence des choses, tout ce foisonnement de vie en perpétuelle gestation au plus mystérieux des actinies de notre conscience. Comme l’écrit encore Rilke : « …il ne suffit pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux. » Le poème devient alors le fruit épuré de ces mutations successives.

D’entrée, Wellens apostrophe celle qui rôde autour de la solitude de l’âge et se fait de plus en plus menaçante entre les mains de l’intraitable Clotho : « Parler pour détourner la nuit / faire amitié avec les loups / décourager la pluie / intimider la mort ».

Avec cette virile lucidité qui fut celle de Jean Rousselot et dont il a retenu la leçon courageuse de vie, le poète se cabre et toise fièrement la cruelle réalité, celle de la déchéance de notre enveloppe charnelle : « Je récuse / ta voix cassée / ton odeur de cadavre // ta trahison. » Il accepte stoïquement cette inéluctable érosion : « Ainsi va ma nuit / qui ne s’encombre pas d’étoiles / qui sent la pomme fatiguée / tombée de l’arbre ».

Il se dégage de cette œuvre un charme singulier fait d’un bel équilibre, fruit d’une longue et féconde méditation et de cette vivante intimité avec l’animal, le minéral, le végétal. Il y a chez Wellens une veine panthéiste revigorée, un lien profond avec la nature et l’âme des choses. Il sait finement capter le message dont est porteur chaque battement de vie. ‘Rien ne pèse ou ne pose’ dans ce recueil où l’auteur passe avec aisance du grave au léger, laissant le final d’un poème s’envoler à la manière d’une touche aérienne à la Chagall ou à la Dufy : « Au loin / un ange passe / à bicyclette. »

Serge Wellens brasse tous les thèmes essentiels de l’existence qu’il nous offre au fil des pages où, angoisse transmutée, lyrisme contenu, chaque poème impose sa voix comme une évidence lumineuse, ce qu’illustre parfaitement la pièce ‘DANS L’ÉTÉ CRUEL’, où s’opère une savante chrysopée : « … et que ses ailes soient / ne soient rien d’autre que / les mains de Debussy… » N’est-ce pas ce que l’on demande aussi au poème ?

L’ouvrage se clôt sur un hymne à la vie et à l’amour, dédié à Annie, souvenir partagé dans la ferveur aux Iles Féroé : « Chacun habitant l’autre ».

©Jacques Taurand

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.