MARCEL HENNART : Aventure d’un souffle (Rougerie, Mortemart, 1996)

Voici un livre qui ne se lit pas sans effort : il y a là en effet une poésie étrange, sombre, défendant son territoire, non par l’opacité du sens ou les obstacles de la forme, mais à proportion de l’intensité du combat qu’elle semble livrer dans l’imaginaire. C’est l’enjeu de ce combat qui justifie l’effort de la lecture, et la beauté du poème qui le récompense.

L’adversaire – aux dimensions métaphysiques qui le montrent peut-être aussi adulé que redouté – est ici le vide, expressément désigné dès la page liminaire et à de nombreuses reprises dans le cours des poèmes. Ce vide, nié par deux oiseaux qui l’effleurent du désir de leurs becs, est inconscience du temps ; il n’est que clignotante mémoire en son néant précis pour le simple passant, ce mort/ qui fait semblant de vivre/ ce reflet échappé d’un miroir éteint à travers le vide du temps ; il est vide entre les herbes des rails qui s’en vont, s’effilochent à l’horizon ; vide assigné même par le sourire dans la sobre fulgurance de ce poème :

sourire à la fragilité d’instant
comme une eau qu’avive un reflet
en cette égratignure
de la lumière
où s’engouffre le vide.

Devant une autre mer, vide dont s’habille la vie, avant qu’ait percé les flots une sourde clarté ; et devant un même soleil […] appelant à un même chemin, un même vide où les ombres se perdent ; et vide aussi de la parole, construction de l’instant, bulle de vide où la pensée vacille en sa pérennité au bord de son abîme ; et vide encore du Parlant et de l’Écrivant lui-même : je ne suis ni ma tête penchée, ni ma main qui écrit, et ne suis non plus, et moins encore, ces mots qui leur répondent, je suis un vide du corps en mon corps, et qui le cherche et le quitte sans cesse en son unité insaisie.

Ce poète nous met donc en face d’une réalité : la mort, auteur d’un simulacre : la vie ; car tout homme meurt avant son heure et nourrit un fantôme en son regard. Dans le vide du monde il n’est pour lui de repos de corps ou d’âme où se loger. À sa fenêtre, devant la nuit finissante, immobile, sans poids, n’ayant de chair […] qu’en [s]on regard, il se meurt en [s]a joie d’un seuil, d’une aurore qui ne vient pas. Et au moment où le monde redevient monde, il ne peut le voir que près de crouler/ si l’invisible main se relâche/ à tout jamais dans le vide univers.

Beau livre, presque désespéré, mais qui, à l’affronter, procure une sorte de joie. Lecture dont on sort fortement ébranlé, notre vie résumée au bref instant mouillé de notre souffle, mais plus que jamais en recherche de ce que l’auteur invoque : ô difficile lumière de l’homme !

©Paul Farellier

(Note de lecture in Le Cri d’Os, n° 21/22, 1er semestre 1998, p. 131)