Chantal DANJOU, Toko No Ma – avec des calligraphies de Mikiko OBATA et de Sumiko KABUMOTO – (Éd. L’Improviste, 13 bd de Belleville, 75011, Paris ; 88 p.)

Sur la lumière du monde, un regard de poète d’une acuité et d’une sensitivité des plus rares : c’est ce dont témoignent tous les ouvrages de Chantal Danjou. Mais les tonalités sont chaque fois différentes, comme suscitées une à une par les variations solaires des ciels que déroule ce regard essentiellement nomade. On n’oublie pas, en remontant dans cette œuvre, qu’on y a d’abord connu la lumière méditerranéenne, avant l’océanique.

Aujourd’hui nous trouvons cette nouvelle suite poétique tout imprégnée de culture nippone. Mais là, aucun japonisme de surface : plutôt la résultante d’une intime expérience, la quintessence d’une matière fluide et discrètement érotique dont notre poète, interrogeant dès l’incipit une vision de pétales, note qu’elle danse devant les yeux.

À l’instar de ce recoin traditionnel des temples et des demeures que l’on désigne sous le nom de toko no ma, le recueil de Chantal Danjou réussit à faire éclore d’images simples, mais tirées de la profondeur et idéalement épurées, le vrai « sentiment du monde ». D’une ombre aux secrètes clartés, naissent des événements ténus et essentiels. Le poème alors, comme pour étayer leur destin d’apparences
aussi décisives qu’incertaines, nous amarre inlassablement par infimes variations de leur intensité, à l’imperceptible, au fugace.

On remarquera – on goûtera – l’exacte beauté des sensations :

Une branche d’amandier en fleurs. Une odeur de miel et de laine humide. Peu à peu on perçoit distinctement les deux parfums. L’un agréable; le second trop fort et âcre.

ou même, pour le thé :

Bouche pincée sur le bord de la tasse. Une petite rose quêtant sa jouissance. Bol plein. Vide à présent.

ou encore, devant l’ombre d’une branche fleurie sur un mur blanc :

Les pétales vont si légers qu’ils ne sont plus que vent.

Monde éludé ? ou bien résumé du monde ? Le poème ici en perpétue l’énigme comme fleurs à l’assaut de l’ombre. Dans l’obscur du toko no ma :

Impossible de ne pas sentir l’arbre remuer. Avant de mourir. Avant de se défaire de chair, de fleurs, de gouttes d’eau. Un lent mystère. Cette présence d’amandier dans l’inconnu

©Paul Farellier

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.