CHANTAL DANJOU: POÈTES, CHENILLES, LES CHÊNES SONT RONGÉS, éd. Tipaza, collection Métive, p.n.i.

Cet ouvrage est édité sous la forme de trois volets et de vingt-quatre pages parmi lesquelles figurent cinq reproductions de peintures de Françoise Rohmer. Cette peinture, mobile et structurée, où les verts, les jaunes, les bleus, scandés d’un rouge vif, manifestent une vie ardente et jamais en repos, s’harmonise avec l’idée d’un arrière-pays méditerranéen.

La suite des poèmes, en prose, peut se lire comme le récit de la découverte d’un chêne vert, une yeuse, qui devient à son tour un plan fixe suscitant images et intuitions.

En effet, l’arbre est d’emblée le thème de métamorphoses: fleurs, plumage de paon. L’idée de l’ocelle suggère l’entrée possible dans une plus essentielle perception. Cependant, le regard ne crée là que mirages. Il faut renoncer à ces illusions pour atteindre à travers l’arbre, « l’organe rouge », vie réelle d’où procède le « conte » authentique.

L’envers de l’illumination factice est un processus cruel qui pourrait être sans fin: « les petites chenilles de l’étoilée rongent l’un et l’autre », à savoir l’arbre et le poème. Le paysage, à l’arrière-plan, prolonge ce passage du merveilleux à la chose nue.

L’art, toutefois, revient en filigrane: l’idée d’estampe, celle du temple grec aussi, plus essentiellement, lorsque la clarté se double de fuseaux d’obscurité. Chantal Danjou, parmi ces collines et face à elles, hésite entre la transfiguration artistique et l’accueil de l’irruption métaphysique: «La mort pourrait être ce grand fuseau bleu écartant les branches ».

©Gilles Lades

Chantal DANJOU : LES CONSONNES DE SEL, accompagnées par LES MÉLODIES PARLÉES, L’Harmattan éd., 5-7, rue de l’École Polytechnique, 75005 Paris.

Cet ouvrage est un diptyque où la parole proprement poétique (page de droite) est accompagnée d’un « journal », d’un commentaire tantôt allusif, tantôt discursif (page de gauche). Ces deux sources, par leur décalage même, accentuent la force du propos. Force qui est le corollaire d’un défi prenant Don Quichotte pour emblème : c’est lui qui voit et pratique le vrai, c’est lui le vrai poète.

L’Odyssée du regard (les Grecs sont souvent invoqués), s’il s’appuie sur les hautes, granitiques et ancestrales terres lozériennes, est aimanté par miroitement sable-eau-mer de la Méditerranée. Et Chantal DANJOU s’interroge sur son propre regard, sur sa myopie, sur une gêne visuelle qui fait de chaque instant une aventure de la perception, une première –et poétique – déformation.

Chantal DANJOU se sent liée avec l’absolu, avec « les perdrix / qui plongent l’une vers l’autre / jusqu’à étreindre la mort », mais aussi avec la vigueur (« le fusil vert des arbres »), la grâce inspirée : « la ballerine se recompose / à volonté ».

Cette symphonie « des pays qui respirent dans une flûte de Pan », des pays souvent revus à travers le prisme du voyage en train, cet élan
à garder le cap s’affermit dans un dialogue amoureux, fusionnel, se trouve un visage de passion, comme la rencontre de l’eau et du soleil, ou palpiterait

« un faisceau de veines / dans le corps géant de la lumière ».

©Gilles Lades

in revue Friches, n°52, hiver 1995-1996.

Chantal DANJOU, Toko No Ma – avec des calligraphies de Mikiko OBATA et de Sumiko KABUMOTO – (Éd. L’Improviste, 13 bd de Belleville, 75011, Paris ; 88 p.)

Sur la lumière du monde, un regard de poète d’une acuité et d’une sensitivité des plus rares : c’est ce dont témoignent tous les ouvrages de Chantal Danjou. Mais les tonalités sont chaque fois différentes, comme suscitées une à une par les variations solaires des ciels que déroule ce regard essentiellement nomade. On n’oublie pas, en remontant dans cette œuvre, qu’on y a d’abord connu la lumière méditerranéenne, avant l’océanique.

Aujourd’hui nous trouvons cette nouvelle suite poétique tout imprégnée de culture nippone. Mais là, aucun japonisme de surface : plutôt la résultante d’une intime expérience, la quintessence d’une matière fluide et discrètement érotique dont notre poète, interrogeant dès l’incipit une vision de pétales, note qu’elle danse devant les yeux.

À l’instar de ce recoin traditionnel des temples et des demeures que l’on désigne sous le nom de toko no ma, le recueil de Chantal Danjou réussit à faire éclore d’images simples, mais tirées de la profondeur et idéalement épurées, le vrai « sentiment du monde ». D’une ombre aux secrètes clartés, naissent des événements ténus et essentiels. Le poème alors, comme pour étayer leur destin d’apparences
aussi décisives qu’incertaines, nous amarre inlassablement par infimes variations de leur intensité, à l’imperceptible, au fugace.

On remarquera – on goûtera – l’exacte beauté des sensations :

Une branche d’amandier en fleurs. Une odeur de miel et de laine humide. Peu à peu on perçoit distinctement les deux parfums. L’un agréable; le second trop fort et âcre.

ou même, pour le thé :

Bouche pincée sur le bord de la tasse. Une petite rose quêtant sa jouissance. Bol plein. Vide à présent.

ou encore, devant l’ombre d’une branche fleurie sur un mur blanc :

Les pétales vont si légers qu’ils ne sont plus que vent.

Monde éludé ? ou bien résumé du monde ? Le poème ici en perpétue l’énigme comme fleurs à l’assaut de l’ombre. Dans l’obscur du toko no ma :

Impossible de ne pas sentir l’arbre remuer. Avant de mourir. Avant de se défaire de chair, de fleurs, de gouttes d’eau. Un lent mystère. Cette présence d’amandier dans l’inconnu

©Paul Farellier

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 23/24, année 2007.