Gilles BAUDRY : Nulle autre lampe que la voix (Rougerie, 2006 – 13 € – 7 rue de l’Échauguette, 87330 Mortemart)

Dès l’invocation – et même dès le titre – le poème ici parle de l’intérieur ; les mots sont de ces portes qu’on pousse/ au-dedans de soi. Mais, dans son intériorité, la vie contemplative en appelle aussi à la voix venue d’ailleurs qui, seule, permet une intuition du monde/ autre que ce qu’il est. Le silence est alors recherché comme un abri, l’écriture, comme une trouée d’extase, un guet-apens de l’invisible.

Pour autant, nulle tentation quiétiste dans ce livre aux intenses lumières : Garde la page inapaisée, se commande à lui-même le poète. De fait, nombre de pages du recueil ne craignent pas, avec foi, d’affronter l’incertitude, l’opacité, la séparation, le malheur. Et il est significatif qu’un salut soit, en plein cœur de l’ouvrage, adressé à Pierre Gabriel [[Sur Pierre Gabriel, voir notre étude Pierre Gabriel ou « Le nom de la nuit », in Les Hommes sans épaules, n° 16, premier semestre 2004.]] et à son questionnement tragique :

Offrir sa chance
à toute aube incertaine
et à sa frêle royauté,
prendre sa lampe
à voix basse nommée,
laisser mûrir sa mort natale :
nul autre legs testamentaire
pour votre adieu au bord
des âges, Pierre Gabriel.

Il reste surtout l’essentielle clarté de cette poésie ; la main à plume dont, citant Rimbaud, elle instaure le rêve diaphane ; les mots de la plus simple fraîcheur et d’une évidence que l’on pouvait croire de longtemps perdues : ce bruit d’étoffe sur la mer […], la soie d’une respiration […] ; et les intuitions décisives :

La mort,
tu la croyais nocturne :
elle t’éblouit.

Un des plus beaux livres du poète. À ne pas manquer.

©Paul Farellier

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Jacques TORNAY : Feuilles de présence (L’Arrière-Pays, 2006 – 10 € – 1 rue de Bennwihr, 32360 Jégun)

« Une poésie qui m’apprend à vivre », serait-on tenté de dire après lecture de ce recueil. Son titre, Feuilles de présence, dans la simplicité d’un glissement de sens (présence du monde comme présence au monde) se trouve légitimé dès les premières pages : Jacques Tornay est tout occupé à rompre l’absurde procession des jours, à essayer de surprendre son vrai visage.

Pour quérir la résonance de la vie parfaite, il va piéger l’essentiel dans les manifestations du précaire et du minuscule : La vibration de l’air/ entre l’insecte et la plante… ou encore :

Aucun bruit entre nous sauf le tintement
de nos cuillères diluant le sucre dans les bols
sous la bruine du matin
.

et aussi :

L’oreille au-dessus d’un verre d’eau gazeuse,
j’écoute l’éclat des petites bulles et c’est admirable,
on dirait un lac en palabres
.

Il faut savoir reconnaître un bonheur : déclare-toi heureux,/ de l’infime que tu possèdes. Et plus loin : Je continue mon bonheur dans les choses que vous jugez insignifiantes. De là, tout un art poétique et une morale, en définitive, enseignant à n’être que de passage ; à s’installer dans l’évasif, le probable, là seulement où, paradoxe, se révèle une occasion d’éternité ; à comprendre enfin et à mesurer en nous-mêmes le pouvoir poétique :

Nous avons une voix pour le mûrissement du verbe.
Notre chance incroyable est la floraison et la récolte
effectuées dans le même instant.

Là résiderait le parfait achèvement d’un stoïcisme souriant – s’il est permis d’associer ces deux mots – et doué d’une patience hors de laquelle n’est suggéré aucun autre salut : Le temps s’écoule sans que l’on apprenne sa destination.

Ajoutons que la lumineuse fluidité de l’écriture n’est pas le moindre des mérites de ce très beau recueil.

©Paul Farellier

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Jean-Luc MAXENCE / Elisabeth VIEL : Anthologie de la Poésie Maçonnique et Symbolique (2007, Dervy – 204, boulevard Raspail – 75014 Paris, 23.50 €)

Je ne saurais dire si cette anthologie suscitera polémiques et commentaires, comme s’y attend Jean-Luc Maxence. Par contre, un fait est certain, c’est qu’il s’agit du premier travail du genre, fort réussi, et certainement exhaustif. Nous retrouvons, au sein de ce panorama, plus de deux cents poètes et chansonniers, francs-maçons ou proches de la franc-maçonnerie, de Voltaire à Francesca Caroutch, en passant par Nerval, Baudelaire, Bruant, Mallarmé, Pierre Dac, André Breton, Henein, Milosz, Dauphin ou Taurand ; quatre cents poèmes sur près de trois siècles ; le tout en 523 pages. Tous les poètes de cette anthologie sont-ils maçons ? Non, bien sûr, mais leur évidente relation au symbole suffit à les y voir figurer. Maçonnerie et poésie sont porteuses de rêve, écrit Jean-François Pluviaud, en postface, c’est que : « L’une et l’autre sont une voie d’accès à une réalité différente, une nouvelle perception de l’univers, une découverte de soi. L’une et l’autre sont un révélateur, permettant la mise au jour d’un modèle d’absolu, enfoui au plus profond de chacun d’entre nous, elles sont un moyen d’appréhender le monde. »

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Roland NADAUS : Les noms de la ville (2007, éditions du Soleil natal – 8 bis, rue Lormier – 91580 Étréchy, 12 €)

J’avoue avoir été conquis par cet homme hors norme, à la fois poète de talent et élu de conviction, qui ne mâche pas ses mots, qu’est Roland Nadaus, à un tel point, que j’ai soufflé le livre et la note de lecture à C. Dauphin. Roland Nadaus a bâti une ville : Guyancourt, dans les Yvelines, dont il fut le maire durant trente années. Poète et élu, c’est justement à cette double casquette dont il ne fit toujours qu’une (ce qui a dû déranger pas mal de monde, tant en politique qu’en poésie), que Nadaus consacre son livre : « Donner un nom est pouvoir presque divin ; j’ai eu cent et une fois cette chance – et parfois j’ai fait l’acrobate ou même le clown au nez rouge pour donner nom à l’amour, à l’admiration, à la reconnaissance, à l’espoir, au témoignage, à la beauté. » C’est bien l’histoire des noms qu’il a donnés aux rues de sa ville (des noms de poètes, y compris vivants, ce qui est unique) dont il est question ici. Si le sujet pourrait paraître ennuyeux, j’assure qu’il n’en est rien sous la plume de Roland Nadaus. Les noms de la ville, sous-titré « Poèmes journalistiques » se lit d’une traite comme un récit qui tient en haleine.

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Yannick GIROUARD : Hautes marges suivi de La danse de l’arbre (2007, éd. Librairie-Galerie Racine, 23, rue Racine – 75006 Paris, 12 €)

Auteur de six recueils de poèmes et d’une pièce de théâtre, Yannick Girouard, est devenu en l’espace de dix ans, l’un des meilleurs poètes édités par la Librairie-Galerie Racine. Poète chrétien, Girouard vit sa foi à la manière d’un Roland Nadaus ou d’un Jean-Luc Maxence, c’est-à-dire, sans œillères. Dieu et le sacré sont donc évidemment présents dans la thématique, dans les « Hautes-marges » de l’être, mais en filigrane et d’un point de vue cosmique, universel, et non dogmatique. La souffrance intérieure, l’angoisse, la solitude, l’amour : La Vie : un don par échange – Non : une osmose – comme entre le ciel et tes yeux, la solidarité avec les démunis et les opprimés : je n’ai plus d’ombre – que celle du monde, sont quelques-uns des thèmes forts de ce recueil comme de l’œuvre de Girouard ; une œuvre dense, fluide, exigeante, sans ornières et sans clichés.

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Maurice COUQUIAUD : L’éveil des eaux dormantes (2007, Le Nouvel Athanor – 50, rue du Disque – 75013 Paris, 14 €)

Maurice Couquiaud a été le rédacteur en chef de la revue Phréatique, durant dix-sept ans. Il est l’auteur de sept recueils de poèmes et de deux essais qui sont les parfaits reflets de son ouverture d’esprit, qui le porte vers la transdisciplinarité, comme il l’avoue lui-même humblement : « Je serai mort avant d’avoir su relier tous les éléments qui donnent un sens à ma curiosité, un sens à mes poèmes, un sens à mon être passager. Pour l’instant je survis essayant de coller à l’obscurité comme un poisson-pilote pouvant se nourrir simplement de lueurs. » Passionné par les rapports pouvant exister entre science et poésie, poète de l’étonnement, Couquiaud nous dit que L’inspiration dort à poings fermés – sur le seuil des mots fatigués. Et, qu’elle se lève avec ceux que la lumière a secoués. Il nous dit encore que Le poète et le musicien peuvent reconstituer l’homme – dans une résonance… à partir de son chaos. Sorcier harmonien, Couquiaud est le poète qui fait émerger l’harmonie du chaos : Ce météore tombé d’un lointain mystère – me dit que l’homme est la planète de son regard solaire. En ce sens, L’éveil des eaux dormantes fond littéralement au contact des êtres et du monde : Venez ! – Nous serons le ressac des lueurs profondes. Conscience de l’ouverture et de l’étonnement perpétuel, les poèmes de ce recueil convaincront ceux que la lumière a secoués.

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Isabelle GUIGOU : Le parfum des pierres aveugles (2007, éditions Clarisse – 170, allée de Sainte-Claire – 76880 Martigny, 10 €)

Avec la sortie du livre d’Isabelle Guigou, « que l’on ne traverse pas sans bouleversement », annonce l’éditeur, « nous avons pris la décision de baisser le prix de vente de la collection de 12 à 10 € pour donner au plus grand nombre la possibilité de soutenir notre travail. » Et ce travail, il est vrai qu’il mérite d’être soutenu. Née en 1969, Isabelle Guigou enseigne le français dans un collège du Jura. On lui doit sept plaquettes de poèmes, publiés notamment en revue. Le parfum des pierres aveugles est certainement l’écrit le plus abouti de cet auteur, qui nous fait part de son angoisse, de sa douleur et de sa mélancolie : m’assurer que tout est encore en moi… M’assurer que rien n’est passé mais contenu – Finalement tout cela au-dedans de mon corps. Ce parfum des pierres aveugles peut-être considéré comme le carnet de bord d’une enfance défunte : Lieu tranché en pleine enfance… – On cicatrise – Cette douleur pourtant au-delà du moignon ; du temps qui passe : Caresse d’outre-tombe – D’outre-temps ; du deuil : Gravir une à une les marches vers la lumière – Sortir un à un les absents du ventre de la mort ; et de la solitude : Mes mots répondent aux silences, claudiquent dans un dialogue boiteux à travers le temps.

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Jean L’ANSELME : Con comme la lune (2007, Rougerie, 87330 Mortemart, 14 €.)

Jean L’Anselme, notre « bête de somme en quelque sorte, aussi fière d’être picarde qu’un bœuf est fier d’être bourguignon », nous donne une nouvelle salve cuisinée à sa façon. Les poèmes de L’Anselme, par leur « naïvisme », comme l’a écrit Jean Rousselot, mais aussi leur humour sarcastique, goguenard, jaune, noir, jovial, sont comme des équivalences des tableaux et dessins de Dubuffet. Dans son œuvre, le poète recherche « la beauté de l’inutile » et aligne, c’est le cas avec Con comme la lune, les calembours, les aphorismes, les ready-made. L’Anselme a ainsi évolué de « l’Art maigre », à « l’Art moche », en passant par « l’Art chouette » et « l’Art triste », pour aboutir aux « poèmes cons », dont précisément Con comme la lune est à coup sûr l’aboutissement. Chez L’Anselme, la poésie, dont l’humour est l’épice savoureuse, la couleur dominante, s’apparente à l’insolite, au bizarre, à l’étrange, à l’inhabituel, l’inattendu. Observateur ironique des êtres et de son temps, L’Anselme aime la truculence, l’invention verbale populaire. Il entend lutter contre la bêtise et le conformisme ambiants, sans jamais perdre son sens de l’autodérision : « Monsieur L’Anselme – à vouloir amuser – toutes vos plaisanteries – au lieu que l’on en rie – on s’en passe lassé ».

©Karel Hadek

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)

Jean-Vincent VERDONNET : Jours déchaux – Rougerie, 2006 – 13 €.

‘Les carmes déchaux vont en sandales et sans bas’, nous précise Littré. Est-ce à dire que Jean-Vincent Verdonnet, parvenu à un certain point de son ascèse poétique, aspire au dénuement, se veut de tout allégé afin de n’offrir à l’heure dernière, alors que l’on entend déjà frémir les eaux du Léthé, que : « …la transparence qui dépouille / et s’annonce au loin sur les eaux… » ? Avec ce recueil, le poète poursuit, mezza-voce, ‘ce battement de la parole’ qui se fait presque inaudible tant le poème se replie dans l’ombre portée des mots, tant l’image analogique et les hypallages le font s’identifier avec son environnement. Tous les thèmes chers à l’auteur sont ici repris, psalmodiés dans ses noces perpétuelles avec la Nature sa grande complice. L’éternel questionnement du poète se maille en notes sombres mais sereines sur la trame d’un quotidien paisible. ‘La vie est là’ aurait dit un autre poète, ‘simple, tranquille’… et l’auteur de Jours déchaux de poursuivre : « Sur la place grince l’enseigne / de l’échoppe du cordonnier / Un souffle d’air passe et s’en va / Cueillir l’aveu d’une ruelle / Où la vie / ne tient qu’à un fil / de silencieuse lumière » ou encore : « …au gré des heures / entre les murs d’une ruelle / S’y pose l’invisible essaim / de ces pas que l’on n’entend plus / et leur douceur en toi s’obstine / avec les années / de retour / qui se penchent sur les fontaines / où montent trembler des visages ».

À la proue de sa chambre, en parfaite osmose avec sa terre dont il éprouve les moindres vibrations, le poète interroge l’étendue qui s’offre à lui et s’amenuise : « …vers quel lendemain la contrée / doit consentir à se tourner / lorsque la journée / appareille / pour l’autre rive sans connaître / la distance qui l’en sépare ». Verdonnet cède volontiers la parole à la nature, confiant dans la sagesse des saisons. Toute manifestation végétale, minérale, animale devient signe, a valeur de présage, se charge d’un sens qui porte le poème au plus intime de l’être et en sollicite le profond mystère : « Quel sens peut être retenu / de la lecture de ce monde / de la poussière des messages / dont le ciel étoilé fourmille // Une incertitude persiste / tant que n’aura pas préludé / le chant de l’oiseau / entrebâillant pour toi l’énigme / qu’aborderait une étendue / muette en sa lente marée ». Tout se passe comme si, peu à peu, le poète prenait possession de son néant à venir, habitait les lieux dépouillés de la vie physique – les jours déchaux – et renaissait à la vie spirituelle dont le poème est le miroir. On évolue dans un monde d’ombres ; morts et vivants s’y frôlent : « Les façades se décolorent / Des passants viennent du silence / pour y retourner aussitôt ».

Avec Jours déchaux la parole de Jean-Vincent Verdonnet se fait de plus en plus proche du silence, épousant l’indicible : « Jours d’alors qui marchent déchaux / et la poudre de leurs chemins / quel château muet les accueille / sous l’aile de pierre grise ».

©Jacques Taurand

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)