Jacques TORNAY : Feuilles de présence (L’Arrière-Pays, 2006 – 10 € – 1 rue de Bennwihr, 32360 Jégun)

« Une poésie qui m’apprend à vivre », serait-on tenté de dire après lecture de ce recueil. Son titre, Feuilles de présence, dans la simplicité d’un glissement de sens (présence du monde comme présence au monde) se trouve légitimé dès les premières pages : Jacques Tornay est tout occupé à rompre l’absurde procession des jours, à essayer de surprendre son vrai visage.

Pour quérir la résonance de la vie parfaite, il va piéger l’essentiel dans les manifestations du précaire et du minuscule : La vibration de l’air/ entre l’insecte et la plante… ou encore :

Aucun bruit entre nous sauf le tintement
de nos cuillères diluant le sucre dans les bols
sous la bruine du matin
.

et aussi :

L’oreille au-dessus d’un verre d’eau gazeuse,
j’écoute l’éclat des petites bulles et c’est admirable,
on dirait un lac en palabres
.

Il faut savoir reconnaître un bonheur : déclare-toi heureux,/ de l’infime que tu possèdes. Et plus loin : Je continue mon bonheur dans les choses que vous jugez insignifiantes. De là, tout un art poétique et une morale, en définitive, enseignant à n’être que de passage ; à s’installer dans l’évasif, le probable, là seulement où, paradoxe, se révèle une occasion d’éternité ; à comprendre enfin et à mesurer en nous-mêmes le pouvoir poétique :

Nous avons une voix pour le mûrissement du verbe.
Notre chance incroyable est la floraison et la récolte
effectuées dans le même instant.

Là résiderait le parfait achèvement d’un stoïcisme souriant – s’il est permis d’associer ces deux mots – et doué d’une patience hors de laquelle n’est suggéré aucun autre salut : Le temps s’écoule sans que l’on apprenne sa destination.

Ajoutons que la lumineuse fluidité de l’écriture n’est pas le moindre des mérites de ce très beau recueil.

©Paul Farellier

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 25, 1er semestre 2008)