Paul FARELLIER, Une odeur d’avant la neige (L’Arbre à paroles, 2010, 12 €).

Après l’état de stupeur provoqué par la perte, le souvenir des disparus, « Père et Mère, maintenant si jeunes », introduit au mystère du passage, à sa réserve d’insoupçonnable et au travail de la mémoire. Lorsque « la chair s’en va », que l’on appartient désormais à la « patrie des séparés », comment « flairer du sens à l’abîme » ? Mais le froid n’a pas encore tout recouvert et l’appel aux âmes de ceux qui furent, le déboulé de leurs visages, leur petite musique intermittente nous investissent comme d’une « odeur d’avant la neige ».

« Tout près de jamais », « Intérieur de l’ombre », « Parole en silence », « Couleurs sous la nuit », « Sans lieu ni date »… les titres des chapitres sont des fanaux. Ils constituent aussi des frontons où vibrent les paradoxes, et inaugurent des chambres d’initiation. L’auteur y mesure l’intensité du temps vécu, la chaleur des promesses (ou de la promesse) qui clignotent en s’estompant, la guerre perdue et gagnée de vivre, en délicats foulages, comme autant d’empreintes d’oiseaux sur la neige.

Pour Paul Farellier, même si l’âge avive la plaie de l’« horloge de poussière », toute vie « se tresse d’éternité » grâce au pouvoir des mots. Car, s’il est conscient de « cette folie// d’ajouter de la parole au monde », le poète n’en doute pas moins que soit sage « l’obstiné silence ». Alors, les mots, « leur pas sur le vide », pour une « soigneuse lumière », nous aident à compenser « la belle jeunesse animale », à nous faire oublier « l’instant déganté » et à tenter de capter et de dire qui parle dans notre voix.

Sans doute, les « violences d’un sang » sont-elles devenues peu à peu des objets à ranger dans notre musée intérieur, mais la grâce du poème n’est-elle pas de nous aider à entendre « le
brasier » qu’elles consumèrent, et à nous prolonger afin de nous faire « débusquer la lumière jamais traduite » ?

Le beau texte de présentation de Véronique Daine, en quatrième de couverture, résume bien la singularité de cet ouvrage émouvant et pudique, l’un des meilleurs de son auteur.

Citons ce poème :

Et si je ne vivais là / qu’en demi-solde d’un endormi, // dans le demi-rêve d’un réveil, / dans la demi-vie d’une autre mort, // malgré ceux de la maison / qui savent la date et l’heure, // infiltré dans les tentures, / entre les pages du livre, entre les lignes, // et dans l’âtre vague de l’hiver, / avec ceux qui peuplent d’étincelles // ce frottement de brindilles, / les jeunes pousses d’un feu entre les pierres ?

©Alain Breton

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 31, premier semestre 2011)