Yves MARTIN, Le ciel s’envoie en l’air (Librairie-Galerie Racine, 2010, 15 €)

Le travail d’Yves Martin illustre bien la définition de Valéry sur le travail poétique : « Écrire avec des mots, pas avec des idées » ; ces mots que le poète s’approprie, retape, pour leur donner une vie de fétiches contre les tourments du monde et sa propre apocalypse intérieure. Sur l’établi d’un enchanteur jamais à court d’astuces, déferlent les aventures d’un imaginaire surpeuplé et prompt à brouiller les cartes entre songes, figures du cinéma et de la littérature, fantasmes et dures réalités. Entre ses pages, nous pouvons dire bonjour à Jack l’éventreur ou admirer l’Impératrice rouge car tout est possible, toute incongruité devient évidence, lumière, pour le magicien minutieux qui règne sur l’infime (lui le colosse) et qui instruit en légende (lui le hors-la-vie) la mêlée savoureuse des univers adulte et enfantin : « Immobile, je bouge, horizontal, je lévite », c’est-à-dire, « Comme Charlot, je suis toujours à l’endroit où on m’attend le moins ».

Caricaturiste, il fait des posters de ses angoisses en annulant les charges négatives, en transformant le malaise en trésor inédit. Il provoque le réel en duel, lui colle des bottes imparables, en jubile, « enfant démesuré » heureux de ses tours, conscient de leurs possibilités de contamination. Il dote chaque verbe d’un nouveau code génétique et accomplit des performances d’images incomparables — pochettes-surprises d’où germe une myriade d’icônes. Surtout, il dresse son propre procès de raté (coin que sa mère lui enfonçait dans le crâne) en donnant la mesure de sa misère sexuelle et d’un manque à vivre seulement compensé par les bals de l’imaginaire et les flots alcoolisés : « Possible de rêver, impossible de vivre » ; « Seul, aucun vin ne pourra jamais le dire ».

On ne pourra pas réfuter ces caps saugrenus où les météores entrent en télépathie avec chaque nouveau venu, où la chiquenaude devient l’arme absolue, où les poissons-chats sont « les frères James des profondeurs » et les « girls du gel » les putains de l’Éden.

©Alain Breton

(Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 31, premier semestre 2011)