Gabrielle ALTHEN : Vie saxifrage, Al Manar, éd. Alain Gorius, 2012 – 15€.

À l’image de l’obstinée saxifrage dont les racines peuvent, d’un élan vital, effriter la roche, et par le symbole expressément revivifié de Sisyphe, les brefs poèmes de ce livre (vers et proses mêlés) parient pour la vie : ils prennent subtilement parti contre ce qui la traverse et voudrait la perdre ou la nier.

Au départ, rien ne dissimule le déséquilibre des forces en présence : en face, il y a un enfer à réparer, les crevasses du temps qu’on devrait aider la rosée à visiter ; et quoi donc pour vaincre si ce n’est la pointe d’ombre qu’on appelle nous, tête d’épingle, pivot d’abîmes ? Heureusement, le poème trouve l’allié véritable : le vent, le très bon vent, étale la nappe du vivant. Dans ce flux, cette gaze de l’air sur le lieu délicieux, qui peut transporter jusqu’au « Pays musicien », la vie ne peut qu’être goûtée : la neige sent bon le mimosa, ou encore : la liberté s’amuse sans gestes autour de toi.

Un affrontement est permanent, et avec lui les défaites successives, non seulement parce que la terre est lieu de saccage (Bleu de trop d’une piscine jouxtant le beau rivage ! / Trou vacancier empli de détritus ! […] Pour n’être pas importunés, ils ont dallé la mer), mais aussi parce que l’ennui et l’accablement parviennent à s’insinuer, nous dévisagent, nous soumettent aux agrégats du temps. Mais la lutte est celle d’un poète, et il n’est pas surprenant qu’à travers l’incertain et le maléfice, ce soient les mots qui combattent :

Trois mots qui pleurent dans le silence
Puis deux mots qui vous regardent :
De toute façon vous bougez trop !
Pour moi j’attends un autre mot
Où reposer le monde
Et commencer mon âme

Mais rien ne commence et rien ne se finit
Et des mots nous regardent
Et nous avons raison
D’attirer leur pitié
Bien que le diable la dérobe

On retrouve avec joie, dans ce livre, le ton si personnel de cette parole libre et forte qui caractérise tant d’ouvrages du poète. Avec d’étonnantes images, jamais données pour le spectaculaire, et ce sentiment d’un flux héraclitéen et d’une mêlée de contraires, à la fois cosmique et intérieure – on se souvient et on projette, on abandonne et on désire. À la fin du livre, À l’heure où tout devient regard, un consentement se fait jour jusqu’aux clartés vivables des lointains. La vie se déploie en « chair exacte » : C’est en ce point de la matière humaine que commence le ciel.

©Paul Farellier

Note de lecture in Les Hommes sans Épaules, n° 35, 1er semestre 2013.