Max ALHAU : Le Temps au crible, avec des peintures de Bang Hai Ja, éd. L’herbe qui tremble, 2014, 16 €.

Encore une étape, qui nous semble capitale, sur l’itinéraire de méditation poétique tracé par Max Alhau. Bien peu de voix persévèrent autant que la sienne à ouvrir en poésie d’aussi intimes cheminements dans notre condition de mortels et « notre éternité quotidienne » . Rare le poète, comme lui « brûlé de vérité, de justice ». À travers doutes, hésitations, parfois pertes de repères, un parcours décisif continue pourtant de s’accomplir, qui permet « d’espérer en une possible métamorphose de ce monde. »

Où donc pourrait être cherchée la clé d’une telle espérance, sinon dans l’exploration minutieuse que traduit ce nouveau livre, au-delà des frontières, au cœur du temps ?

On se dit que la forêt est proche
où l’on pourra passer le temps au crible.

Et il est d’autant plus nécessaire que cette exploration se fasse en marge du « monde » que celui-ci s’inscrit, dès l’abord, comme insusceptible, pour nous, de possession ni même de la moindre tentative de préhension :

Nous ne possédons que le vent, l’air :
le reste que l’on nomme le monde
nous échappe et même les saisons
pèsent à peine sur notre corps.

[…]

Tu n’auras servi
que quelques dieux obscurs,
rayé de l’ongle une roche trop dure
pour y laisser une empreinte.

Ce n’est qu’en surpassant la contrainte du temps (jusqu’à nous perdre/ parmi les étoiles, les comètes, réconciliés avec le vent,/ avec le temps qui n’est plus) qu’il nous serait permis – dans quel ultime franchissement ? vers quelle autre vallée ? – d’aller, légers de toute peur,/ […]/ les mains offertes au vent,/ passeurs en retrait des choses […] Pourtant, à cet endroit du texte, et comme en un mouvement de recul, le poète ajoute ces deux vers : mais quand même présents/ dans ce pays. Se referme alors, effaçant toute perspective d’au-delà, la porte tout juste entr’ouverte de la transcendance. Le poème, se reliant ainsi à une pensée fidèlement sous-jacente chez l’auteur, ne daigne guetter « nulle autre saison », cantonne le désir à la terre, n’aspire en définitive qu’à des confins d’immanence (Tout est là/ dans la sécheresse des mots, celle des herbes ). Ce sont les confins de ce que Max Alhau invoque maintenant comme une oscillante patrie, parcourue de rêves en friche, où l’on avance jusqu’au bout de l’inachevé.

Avec les deux dernières parties du livre, Libre cours et Terre d’asile, suites de poèmes en prose d’une admirable venue, et à travers les mille figures de l’émerveillement au vivant – éclair, torrent, mésange, une odeur de fleurs ou le cri d’une sarcelle –, c’est encore le temps qui est affronté : le temps à jamais ancré dans son cours et nous qui suivons tout en nous efforçant à d’autres attentes jamais comblées. Et cette poésie, qui veut qu’on soit là simplement pour forcer le silence, pour dire seulement la présence de ces terres, parvient à conférer au passage éphémère de la lumière sous le regard humain le plus énigmatique des pouvoirs, celui d’accrocher l’éternel à l’instant. Le temps cèdera, la cendre n’aura pas droit de conquête. Pour seul butin, le temps n’emportera qu’un peu de vent au creux d’un paysage à peine esquissé du doigt.

Profondeur, charge poétique et intensité de la méditation, pureté et simplicité de l’écriture, tout concourt à faire de ce beau livre, parmi les productions récentes, l’une des lectures les plus nécessaires.

©Paul Farellier

Note de lecture in revue Les Hommes sans Épaules, n° 38, 2nd semestre 2014.