Max ALHAU : Si loin qu’on aille, avec des photographies d’Elena Peinado Nevado, L’herbe qui tremble, 2016 – 16 €.

Dans ce livre, tout entier innervé de la présence/absence de sa compagne disparue, le poète, « guetteur d’éclairs et d’orages », poursuit son inlassable exploration « pour dissiper [s]es doutes/ pour accroître le parcours et négliger le terme » ; mais, cette fois, ce qui initie le parcours, c’est le malheur de « ce brasier/ qui consacra l’éphémère » :

Avance avec ce dernier feu
qui saura embraser des étoiles
et te conduira plus loin que tes pas,
que ton souffle dans ces territoires
que les mots hésitent à nommer.

Que sont ces territoires, envisagés explicitement, dès les premières pages, dans une perspective métaphysique ?

Tu comprenais
qu’au-delà d’horizons
qui ne se découvrent jamais
résidait le secret du monde, […]

Il semble que le chemin spirituel emprunté par le poète prend ici une nouvelle orientation ; la lente approche dans l’espace médité, à travers l’hésitation et le tâtonnement, l’interrogation continuelle d’un sens, la poursuite d’une vérité fuyante, l’ont maintenant conduit à ce point auquel l’épreuve subie confère un caractère décisif : est-ce alors « la dernière étape,/ ce pont jeté/ entre deux infinis, une pierre lancée/ au-dessus du fleuve/ et qui disparaît/ au loin » ? Se découvre-t-elle enfin au cœur du plus sombre, cette « lumière » qui, jusque-là, s’était dérobée ? Augure-t-elle « des temps/ immémoriaux » ? Rien ne s’assure aussi vite, et le poète se reproche « encore une parole de trop », tant il se souvient « que toute perte l’emporte sur le gain » et que lui-même demeure « la somme/ de toutes [s]es incertitudes », mal pourvu du défaillant butin de la mémoire :

Tu n’as pas assez prêté attention
aux branches de ce cerisier,
aux nervures de ses feuilles, […]

Pas d’avantage tu n’as conservé en mémoire
ce visage si clair, ce regard fouetté de lumière,
ce corps maintenant dissous dans le temps.

La première partie du livre (« Quelques mots qui vacillent ») se clôt cependant sur le souvenir d’une aurore, d’une « promesse d’éternité », sur le gué que l’on franchit, « vers des horizons/ lentement conquis après tant de marches. » Et c’est aussi d’une « terre promise/ pourtant jamais conquise » que s’initie la deuxième partie (« Quelques empreintes sur le sable ») :

ce lieu encore inconnu
pareil à une source
qui ravive et délivre.

Un lieu que l’on ne peut guetter qu’à travers un « surcroît de silence », et qui, à l’opposé d’un « autrefois » terni, se présente comme « à l’orée d’un pays/ aux terres inestimables » ; quelque chose qui fasse que soit « possible/ ce que l’on nomme commencement » et qu’« il ne subsiste rien de nos empreintes », forçant alors à constater :

devant nous tout est à venir,
tel un sentier que l’on tracerait
les yeux fermés.

Et c’est sans doute pourquoi les poèmes de la troisième partie (« En d’autres lieux, au jour le jour ») confrontent le poète à la beauté « fidèle » des paysages où se continue sa marche de « voyageur sans carte ni itinéraire » ; façon qu’il a de trouver dans « l’instant » ce qui « perpétue [s]on destin/ ses failles et sa disgrâce ». Au terme, est-il un seuil franchi, dans un temps « immuable » où « l’arbre et la pierre/ ignorent ce qui les assemble », de même que l’homme peine à « désigner ce qui se dérobe/ et dont l’attente seule/ comble toute impatience ? »

Un livre aussi pur dans la réalisation que dans l’intention, et d’une grande profondeur.

©Paul Farellier

Note de lecture in revue Les Hommes sans Épaules, n° 42, 2nd semestre 2016.

Max ALHAU : Le Temps au crible, avec des peintures de Bang Hai Ja, éd. L’herbe qui tremble, 2014, 16 €.

Encore une étape, qui nous semble capitale, sur l’itinéraire de méditation poétique tracé par Max Alhau. Bien peu de voix persévèrent autant que la sienne à ouvrir en poésie d’aussi intimes cheminements dans notre condition de mortels et « notre éternité quotidienne » . Rare le poète, comme lui « brûlé de vérité, de justice ». À travers doutes, hésitations, parfois pertes de repères, un parcours décisif continue pourtant de s’accomplir, qui permet « d’espérer en une possible métamorphose de ce monde. »

Où donc pourrait être cherchée la clé d’une telle espérance, sinon dans l’exploration minutieuse que traduit ce nouveau livre, au-delà des frontières, au cœur du temps ?

On se dit que la forêt est proche
où l’on pourra passer le temps au crible.

Et il est d’autant plus nécessaire que cette exploration se fasse en marge du « monde » que celui-ci s’inscrit, dès l’abord, comme insusceptible, pour nous, de possession ni même de la moindre tentative de préhension :

Nous ne possédons que le vent, l’air :
le reste que l’on nomme le monde
nous échappe et même les saisons
pèsent à peine sur notre corps.

[…]

Tu n’auras servi
que quelques dieux obscurs,
rayé de l’ongle une roche trop dure
pour y laisser une empreinte.

Ce n’est qu’en surpassant la contrainte du temps (jusqu’à nous perdre/ parmi les étoiles, les comètes, réconciliés avec le vent,/ avec le temps qui n’est plus) qu’il nous serait permis – dans quel ultime franchissement ? vers quelle autre vallée ? – d’aller, légers de toute peur,/ […]/ les mains offertes au vent,/ passeurs en retrait des choses […] Pourtant, à cet endroit du texte, et comme en un mouvement de recul, le poète ajoute ces deux vers : mais quand même présents/ dans ce pays. Se referme alors, effaçant toute perspective d’au-delà, la porte tout juste entr’ouverte de la transcendance. Le poème, se reliant ainsi à une pensée fidèlement sous-jacente chez l’auteur, ne daigne guetter « nulle autre saison », cantonne le désir à la terre, n’aspire en définitive qu’à des confins d’immanence (Tout est là/ dans la sécheresse des mots, celle des herbes ). Ce sont les confins de ce que Max Alhau invoque maintenant comme une oscillante patrie, parcourue de rêves en friche, où l’on avance jusqu’au bout de l’inachevé.

Avec les deux dernières parties du livre, Libre cours et Terre d’asile, suites de poèmes en prose d’une admirable venue, et à travers les mille figures de l’émerveillement au vivant – éclair, torrent, mésange, une odeur de fleurs ou le cri d’une sarcelle –, c’est encore le temps qui est affronté : le temps à jamais ancré dans son cours et nous qui suivons tout en nous efforçant à d’autres attentes jamais comblées. Et cette poésie, qui veut qu’on soit là simplement pour forcer le silence, pour dire seulement la présence de ces terres, parvient à conférer au passage éphémère de la lumière sous le regard humain le plus énigmatique des pouvoirs, celui d’accrocher l’éternel à l’instant. Le temps cèdera, la cendre n’aura pas droit de conquête. Pour seul butin, le temps n’emportera qu’un peu de vent au creux d’un paysage à peine esquissé du doigt.

Profondeur, charge poétique et intensité de la méditation, pureté et simplicité de l’écriture, tout concourt à faire de ce beau livre, parmi les productions récentes, l’une des lectures les plus nécessaires.

©Paul Farellier

Note de lecture in revue Les Hommes sans Épaules, n° 38, 2nd semestre 2014.

Max ALHAU ou Les Richesses du démuni, par Paul Farellier

Il y a une sagesse de poète dont Max Alhau donne le plus pur exemple : sagesse gagnée à vivre sans jamais exalter ce vivre, mais au prix d’une douleur qui fait le fond de l’existence ; et, de ce fait, sagesse non sereine : souffrir donne bien à connaître, mais reste à souffrir. C’est une « passion », au sens fort du terme, que Max Alhau, dans son livre Le Fleuve détourné, a qualifiée d’exil jamais consenti, signifiant clairement par là qu’il y oppose une réelle insoumission, même s’il reconnaît que seuls le blanc, la brièveté du souffle, de la vie offrent au monde sa légitimité.

Nous avons là un poète de la condition humaine et donc une poésie orientée toute sur la destinée mortelle du cheminement. Celui-ci se déroule au jour le jour : l’espoir est dans le quotidien, puis de même le doute. À chaque pas, les repères menacent de se perdre, et la vie se passe dans l’expropriation :

Cet exode aux allures de conquête
nous ramène en plein soleil,
brûlés par un temps
qui se défait
et nous déboute de nos domaines.
[[Nulle autre saison, L’Arbre à paroles, 2002.]]

C’est bien pourquoi le poète, dans son espace d’évidence pure, nous fait découvrir que même un dénuement nous illustre :

Quand on a tout perdu, […] on commence à soupeser sa richesse. Une étoile se love dans nos mains […].[[Le Fleuve détourné, L’Arbre à paroles, 1995.]]

Aussi, dans l’inventaire de ces imprescriptibles trésors, une extrême attention va-t-elle se vouer à ce qu’il y a de plus ténu : à la marge, aux parenthèses, où s’inscrit l’essentiel, ou encore à ce que l’on glane, les mains serties d’épines[[Ibidem.]]… Tout cela parce que l’on n’attend nulle autre saison et qu’il faut cantonner tout désir à la terre, décliner toute promesse de « siècle futur » :

Tout est là
dans la sécheresse des mots,
celle des herbes.
[[Nulle autre saison, op. cit.]]

Même la célébration de la lumière[[in Le Fleuve détourné, op. cit.]] – quelques lignes d’un parcours cosmique au bout duquel les rêveurs de lumière auront vaincu l’absence pour l’éternité – ne veut en définitive atteindre que des confins d’immanence. Dans les ouvrages les plus récents, tel Du bleu dans la mémoire[[Du bleu dans la mémoire, Voix d’encre, 2010, livre dont sont extraites toutes les citations qui suivent.]] , le cheminement spirituel prend une nouvelle ampleur avec un surcroît d’élévation ; la lente approche du poète dans la dimension métaphysique le conduit vers ce point où pourraient se prendre des « paris » décisifs, mais ce Pays, comme il le nomme, demeure celui de l’hésitation et du tâtonnement, lieu d’interrogation continuelle d’un sens, de poursuite d’une vérité fuyante : là se fait le questionnement de l’éternité et de l’absence, deux pôles qui n’ont cessé de l’attirer ; là, l’existence elle-même confine à la simple hypothèse : Si tu existes, c’est au cœur/ d’un vent léger, comme toi, invisible. Et l’on comprend que l’asile recherché, c’est d’abord l’instant et le lieu où se puisse déporter le malheur. Mais si, dans cette recherche, le poète se confie à la mémoire (le ciel met du bleu dans la mémoire), voilà qu’il la découvre impuissante à nous restituer à nous-mêmes – les signes, les visages, les lieux sont passés de l’autre côté du souvenir –, impuissante à nous faire présents à nous-mêmes :

Tu t’arrêtes, il te reste le ciel
et plus rien pour justifier ta présence.

Les signes se multiplient d’un mal-être que Max Alhau sait assumer, en le sublimant sans l’idéaliser. La pensée quasi mystique d’un point désiré où les contraires se confondent jusqu’à s’unir (cette alliance des contraires/ qui est pour nous/ passage entre deux mondes/ et rien d’autre pour le regard) n’aboutit nullement en perspective de salut (On ne peut rien sauver:/ les oiseaux et les mots/ ou même cet instant/ captif entre les paumes/ et déjà aboli). Le terme du voyage humain, terme proche et lointain, est celui de l’absence ; c’est là qu’il faudra poursuivre cette maraude dans un temps/ délivré de tout avenir. Pour le poète, l’autre rive renoue ainsi avec nos origines ou la naissance même. C’est pourquoi rien ne commence, rien ne s’achève et tout a lieu dans « l’éternité » d’une immanente simultanéité :

Je reste au bord du vide,
le corps chancelant
pour ne pas dire « adieu »,
pour ne pas dire « ensuite »
mais comprendre que « maintenant »
a l’éclat de la foudre.

©Paul Farellier

Étude pour la revue Les Hommes sans Épaules, n° 33, 1er semestre 2012.

Max ALHAU : Du bleu dans la mémoire, Encres d’Hélène Baumel, Éditions Voix d’encre, Montélimar, 2010 – 19 €.

Probité, rigueur – la voie dont Max Alhau n’a jamais dévié, voilà qu’elle s’élargit avec ce livre, prenant une nouvelle ampleur, mais aussi un surcroît d’élévation. Beauté singulière des poèmes, jamais ornée, seulement abreuvée à la fluide simplicité de la langue. Loin des jeux verbaux ou des pièges sémantiques, c’est vers un ailleurs que le poète répond du mystère et de la difficulté : dans une dimension proprement métaphysique – celle de la lente approche et des paris décisifs.

Quatre étapes pour ce parcours : « Pays », « Du bleu dans la mémoire », « D’un côté l’autre », « La voyageuse ».

Le Pays invoqué par les poèmes du premier jalon, apparaît comme patrie mouvante et incertaine, contrée d’exode et d’exil, et malgré tout, digne de gratitude puisque recours suprême :

[…]
tu acclimates le vent,
tu fortifies l’ardeur
de ceux qui te saluent.
[…]
reçois parmi tes plaines
cette lumière alliée
à une aube première
qui jamais ne faillit.
[…]
nous ne revendiquons
de toi nulle faveur
mais simplement le droit
de rejoindre ce lieu
qui fut source et estuaire
d’une vie sans grandeur.

Source et estuaire : au seuil d’un livre qui, d’hésitations en tâtonnements, ne cesse pourtant d’interroger le sens, comment assigner plus clairement à ce Pays, à ce lieu, tout mental qu’il soit, et par-delà même l’abaissement existentiel (vie sans grandeur), une valeur absolue d’« origine » et de « destination » ?

Avec la deuxième séquence, « Du bleu dans la mémoire », s’engage la poursuite méditative de la fuyante vérité de ce livre. D’emblée, la porosité et l’hypothétique de l’existence nous sont donnés à sentir : Si tu existes, c’est au cœur/ d’un vent léger, comme toi, invisible. Le poète, ici, met en doute l’éternité, dont le sentiment, pourtant – avec, en corollaire, celui de l’absence –, n’a jamais cessé de l’habiter : on garde mémoire, par exemple, du poème Célébration de la lumière, où s’achevait le livre Le Fleuve détourné (L’Arbre à paroles, Amay, Belgique, 1995) : là déjà, quelques lignes permettaient d’espérer, pour les rêveurs de lumière, qu’ils auront vaincu l’absence pour l’éternité. Aujourd’hui, la priorité du poète, c’est de rechercher l’instant et le lieu où se puisse déporter le malheur. Non que l’éternité soit récusée vraiment : dans ce nouvel ouvrage, elle affleure souvent de-ci de-là, mais c’est alors dans une sorte de mode mineur ; ainsi, n’est-ce pas l’éternité, ce temps dont il est dit qu’il n’a plus cours ? Ou encore l’infini invoqué dans ces vers :

Tu répètes qu’il n’est pas de chemins
qui ne conduisent vers l’infini,
vers des parcours où le ciel s’abîme,
où les rivages sont superflus.

Sans compter que, si l’on court sans attendre à la fin du livre, on peut y lire : Parfois c’est cela l’éternité,/ cet avant-goût/ de ce qui ne sera pas. Et, de même, à la dernière page, comme pour résoudre l’énigme dialectique absence-éternité : Appelle l’absence par son nom,/ tu n’auras pas à te soucier/ du temps ou de l’éternité.

Pour le moment du moins, c’est à la mémoire que l’on tente de se confier (le ciel met du bleu dans la mémoire). Bien singulière mémoire, et plutôt traîtresse : de même que l’éternité préfigure, nous l’avons vu, ce qui ne sera pas, de même : Nous nous rappelons ce qui n’a pas été. La mémoire ne sait plus nous restituer à nous-mêmes – les signes, les visages, les lieux sont passés de l’autre côté du souvenir –, impuissante qu’elle est à nous faire présents à nous-mêmes :

Tu t’arrêtes, il te reste le ciel
et plus rien pour justifier ta présence.

Malgré cela, si affectée et diminuée qu’elle soit, la mémoire persiste avec mystère :

On avance, on regarde,
même si tout a été oublié,
on se souvient encore.

La troisième séquence, « D’un côté l’autre », semble s’abriter dans le voisinage d’une nouvelle opposition dialectique : celle du Même et de l’Autre (Tu habites le rêve d’un autre, […] et si tu te présentes en face de toi, c’est sans doute une ombre qui te répond). Débusquerait-on une sorte d’entre-deux situé au-delà de l’invisible ? Faut-il comprendre que le jour/ ne fraie pas avec la nuit, qu’ils sont séparés, mais aussi reliés, par un écart énigmatique : braise sans cesse/ à l’intérieur du feu ?

L’écart en vient à être ressenti comme lieu où les contraires se confondent jusqu’à s’unir (mystiquement ?) :

Terre ou nuages,
on ne sait plus
ce qui les confond,
peut-être cette proximité
du ciel et de la mer,
cette alliance des contraires
qui est pour nous
passage entre deux mondes
et rien d’autre pour le regard.

Rien, au-delà d’un passage, ne subsistera de toute façon en termes de salut. Le poète choisit l’alliance imagée des mots et des oiseaux pour nous le faire idéalement éprouver :

Qui donne refuge
aux oiseaux apeurés,
à des mots défaillants ?
[…]
On ne peut rien sauver :
les oiseaux et les mots
ou même cet instant
captif entre les paumes
et déjà aboli.

« La voyageuse », figure éponyme de la dernière séquence, précède notre commune humanité dans le proche et lointain de l’absence ; c’est de l’autre côté du fleuve,/ dans ces prés où jamais/ la nuit ne prend ses quartiers ; c’est là que se poursuit cette maraude dans un temps/ délivré de tout avenir. Il faut, pour cela, avoir franchi la ligne après laquelle/ on souffle sur la cendre/ pour mieux se rappeler/ ce que fut la forêt. Mais l’absence est aussi ce que l’on interroge, la saison que l’on traverse pour découvrir sous la fonte des neiges que les fleurs, les herbes/ n’avaient pas tout à fait déserté,/ que tout exil renoue ainsi/ avec nos origines ou la naissance même. Ce que la voyageuse refuse à l’absence, c’est le droit de noircir/ le corps et l’âme. Elle-même ne se dérobe pas à l’obligation du voyage (Elle a déjà passé le cap après lequel/ les traces et les pas ont pris congé du monde.), tout en gardant la confiance la plus émouvante dans le « nunc » réaffirmé :

Je reste au bord du vide,
le corps chancelant
pour ne pas dire « adieu »,
pour ne pas dire « ensuite »
mais comprendre que « maintenant »
a l’éclat de la foudre.

Le livre nous laisse fascinés dans le suspens de son dernier vers : rien ne commence, rien ne s’achève – auquel répondent les très belles encres d’Hélène Baumel.

©Paul Farellier

Note de lecture in revue Les Hommes sans épaules, n° 32, 2nd semestre 2011

D’asile en exil, Max Alhau, images de Pascal Hemery, éd. Voix d’encre.

D’asile en exil, sans doute l’un des deux ou trois meilleurs recueils de ce début d’année, permet à Max Alhau d’établir en poésie un espace privilégié où le créateur qu’il est, depuis longtemps déjà, creuse avec autant de maîtrise la nappe phréatique que l’aubier des arbres géants. Avec lui la nature prend ses habits de fête et c’est un peu de l’être humain qui s’investit dans le silence des grands ormes, dans la mélancolie des fragiles bouleaux. Sa pensée l’entraîne au-delà du visible et les cercles qu’il déploie, en cette poésie évolutive le conduisent en des contrées où s’aiguise sans cesse l’imagination. Le monde en sa vastitude est son terrain favori, le monde et au-delà, dans les galaxies, dans les infinis où la matière prend en charge les créatures à la fois dérisoires et tragiques que nous sommes. Bien conscient de l’importance relative des individus, comparés aux grands brassements de l’univers, Max Alhau sait, avec art et mesure, passer de l’infinitésimal au gigantisme universel, de la tendre réflexion à la respiration galactique avec, pour ce faire, les illustrations inspirées de Pascal Hemery qui signe là des images superbes, au diapason des poèmes d’Alhau. « Tu aimerais alors être ce voyageur / brûlant les preuves de son passage / dans un brasier d’étoiles et de pierres, / toi dont la vie n’est plus qu’une ombre sur les murs. »

On se laisse envahir par ces espaces sombres, ces vagues d’un lyrisme contenu, et c’est tout l’art de Max Alhau et de son illustrateur, de nous faire partager les angoisses, les plaisirs multiples, de l’être humain en prise à des interrogations qui n’en finissent pas de nous solliciter, de nous « ouvrir » aux mystères du temps le chercheur d’or.

©Jean Chatard

Note de lecture in Le Mensuel littéraire et poétique, n° 352, septembre 2007

Max ALHAU : Nulle autre saison (L’Arbre à paroles, 2002, Maison de la Poésie d’Amay, B.P. 12 – 4540 Amay, Belgique, 124 p., 15 €)

Sous ce titre, les éditions de L’Arbre à paroles rassemblent des poèmes de vingt années, extraits des principaux recueils publiés par Max Alhau dans cette période. Le choix, que nous supposons celui de l’auteur, semble inspiré moins par le souci du florilège représentatif que par une tendance à l’assombrissement : comparant ces extraits aux versions intégrales, on ne peut qu’être frappé par l’accentuation de l’ombre, par l’omission, souvent, de textes qui portaient la clarté dans un destin de cendres (on songe ici, par exemple, avec quelque regret, à l’absence de la superbe suite Célébration de la lumière qui clôturait le livre Le Fleuve détourné).

L’ensemble présenté aujourd’hui n’en constitue pas moins une indéniable réussite, même venant s’ajouter à la bibliographie existante, car, à tout prendre, choisir des textes, c’est encore faire œuvre poétique et se renouveler. L’auteur le fait ici d’autant mieux qu’à la rétrospective s’ajoutent, en fin de volume, des pages inédites d’une grande pureté méditative.

Nulle autre saison, lit-on sur la couverture. Comment, mieux que par ce déni, cantonner tout désir à la terre, décliner toute promesse de « siècle futur » ?

Tout est là
dans la sécheresse des mots,
celle des herbes.

Peu nombreux sont les poètes qui, dans notre condition mortelle, tracent d’aussi intimes cheminements ; qui, à travers le quotidien de l’espoir, puis du doute – quand les repères menacent de se perdre –, forcent une connaissance aussi douloureuse de notre parcours :

Cet exode aux allures de conquête
nous ramène en plein soleil,
brûlés par un temps
qui se défait
et nous déboute de nos domaines.

Tout au long d’une belle et profonde méditation, par endroits volontiers aphoristique, souffrance est devenue sagesse – sagesse de poète, c’est-à-dire évidence pure où même un dénuement nous illustre :

Quand on a tout perdu, […] on commence à soupeser sa richesse. Une étoile se love dans nos mains […].

Un tel livre, dont la rigueur même de l’écriture approfondit la beauté, reste un modèle de probité poétique.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 17/18, 2ème semestre 2004)

Max ALHAU, Le Fleuve détourné (L’Arbre à paroles, Amay, Belgique, 1995).

Il y a une sagesse de poète, plus pure, plus vraie, plus drue, plus habitable enfin que celle des sages de métier. Par ce fleuve détourné, souffrir est devenu connaître. De cette connaissance, le poète nous donne communion en cela même qui fut – et demeure – sa douleur : exil jamais consenti, et qui enseigne pourtant que seuls le blanc, la brièveté du souffle, de la vie offrent au monde sa légitimité. Aussi une extrême attention est-elle, dans ces proses fluides, vouée au plus ténu : la marge, les parenthèses, où s’inscrit l’essentiel, ou encore ce que l’on glane, les mains serties d’épines… Un dénuement nous illustre : d’avoir tout perdu, […] on commence à soupeser sa richesse. Une étoile se love dans nos mains […].

Cette belle et profonde méditation, par endroits volontiers aphoristique, s’achève en une célébration de la lumière : quelques lignes décisives pour un parcours cosmique au bout duquel les rêveurs de lumière auront vaincu l’absence pour l’éternité.

©Paul Farellier

(Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 5, 4ème trimestre 1998)