Sylvestre CLANCIER : La Source et le Royaume, La rumeur libre, 2016 –16 €.

L’année même où elles publient, en un fort volume de 540 pages, le premier des trois tomes annoncés des Œuvres poétiques de Sylvestre Clancier, les éditions de la rumeur libre font paraître un nouvel ouvrage du poète, La Source et le Royaume.

Ce titre rayonnant dérive d’un poème de la deuxième partie du livre auquel le visage aimé confère son « absolue présence », où « le miroir des yeux » irradie « la vraie lumière, la source et le royaume ». Mais, tout autant qu’à ce visage et à son regard, le poète ne cesse d’appartenir à sa propre origine – une enfance heureuse, « source » d’une évidence poétique lustrale pour toute la vie – et d’habiter la demeure familiale, le « royaume » édifié sur « la promesse des morts ».

Car c’est bien là le mystère de ces morts familiers : ils créent la sorte de présence protectrice dont nous avons tant besoin quand « la vie » nous absente à nous-mêmes :

tu as ce goût d’enfance, tu te sens protégé
par leurs regards, leurs rires et leur silence.

Et cette présence opère si fortement en nous qu’elle efface les frontières vie/mort, allant au point d’une adhésion fusionnelle :

Ton sang est ce passage ombreux
plein du mystère de ta naissance
il te change en tes aïeux
plus tu regardes par leurs yeux.

De telle sorte que le poème, comme le quotidien même du poète – qu’on aurait tort ici de croire surinterprété – redonne à ses morts forme de vie sensible :

[…] la grammaire de leurs visages
la ponctuation de leur langage […]

la voix
et le goût de la langue.

Le médium qui détermine et permet cette réalité prorogée, c’est naturellement l’enfance : elle n’a su que feindre de s’être enfuie ; elle est restée ce trésor au cœur de l’homme jusqu’à l’heure où celui-ci croit entendre « le cri strident » de « l’oiseau de mort » ; et n’est-ce pas elle enfin qui pourrait rejoindre « la vie antérieure », « vie/ d’avant la vie », « arrière-monde » et « harmonie première » ?

Comme toujours, l’auteur, même dans son lyrisme, s’est tenu à distance de tout « poétisme » affecté. Il parle un langage d’étroite proximité de l’humain, et c’est sans aucun détour qu’on accède à sa parole ; elle reste émouvante dans sa simplicité de vocabulaire et d’expression, avec ce talent de rendre à tous partageable ce que révèle le plus personnel secret.

©Paul Farellier

Note de lecture in revue Les Hommes sans Épaules, n° 42, 2nd semestre 2016.

DANS L’INCENDIE DU TEMPS, Sylvestre Clancier, Éditions de l’Amandier, 2013

On entre dans ce livre par une page de magie, calquée dirait-on sur ce moment d’émotion où s’accordent les instruments dans la fosse d’orchestre. C’est précisément de la justesse de ton que se soucie l’auteur dans ce texte inaugural : une féconde rêverie de fin de nuit, environnée de la couleur bleue du mystère, poursuit tout d’abord et démultiplie l’image toujours si prégnante du poète démiurge ou prophète qui nous transfigure dans l’incendie du temps. Pourtant, la tension des cordes sur le chevalet sera réglée, non pas sur telle « musique des sphères », mais à l’opposé, à un humain diapason de réalité, de proximité :

[…] le poète que chacun parmi nous pourra découvrir en soi-même, porteur d’une humanité vraie, faite d’espoir et de crainte, d’élans, de peines et de passions, celui qui, tant qu’il le peut, tient encore les mancherons de la vie et s’avance solitaire dans les labours de fond de notre condition plutôt désespérée.

Et de fait, au fil des trois parties de cet ouvrage (Dans l’incendie du temps, Artisan de toi-même, Poussière de soleil), c’est un proche que nous suivons dans sa mémoire qui est aussi la nôtre, dans la « condition » que nous partageons, et même au cœur de nos ultimes questions « sans réponse ». Le principal interlocuteur, oserait-on dire, demeure le temps, auquel se mesure Sylvestre Clancier ; il prend ainsi rang dans l’innombrable lignée dont fait aussi partie un poète comme Lionel Ray, qui a défié « le Maître Temps », et dont, en l’adoptant, il cite, tirée de Syllabes de sable, l’expression : « dans l’incendie du temps ».

Te voici dans le temps
qui te brûle
après le matin de l’enfance
à nul autre pareil

[…]

Mais le souffle du temps t’égare
te voici habité
par un feu surprenant
qui a longtemps mûri
dans l’attente de la vie.

L’œuvre de mûrissement du temps décantera même le rapport père/fils qui affleure dans un délicat et sensible poème (page 41), permettant au poète « Sylvestre » d’assumer, non plus la charge, mais l’émergence en propre de son nom :

te voici plus près de toi-même
une personne moins abstraite
qui accepte l’écriture des jours

celle que tu signeras
de ton nom.

Ce travail du temps l’emporte d’ailleurs, inexorable, sur l’effort, dit pourtant « souverain », de la mémoire qui savait se bâtir « un lieu »

où rien ne changerait
ni la lumière du jour, ni les visages aimés
ni les paroles échangées dans l’enfance

alors qu’on ne peut plus rien voir sinon

la lumière s’altérer
les visages passer comme fleurs en été
les promesses et leurs mots se laisser dissiper

À l’avant-dernière page, entre mémoire et temps, le poète se déclare même « pris entre deux feux ». Dans les tons crépusculaires où s’achève le livre, les deux derniers vers désignent ce qui aura été recours suprême et inattaquable :

La couleur de ta nuit
demeure la poésie.

Une parole qui sait rester émouvante dans la simplicité du vocabulaire et de l’expression, une manière assez inhabituelle de rendre à tous partageable ce que l’on révèle de plus personnel.

©Paul Farellier

Note de lecture in La Revue de Belles-Lettres, n° 2013, 2.

Sylvestre CLANCIER : Une couleur dans la nuit (« GRAPHITI » / Editions PHI / Ecrits des Forges)

Dirigée par Jean Portante, la collection « Graphiti », que les amateurs, de ce côté-ci et de l’autre de l’Atlantique, connaissent bien, offre à Sylvestre Clancier l’occasion de développer sa vision du poète et de la poésie en cet ouvrage, « Une couleur dans la nuit », qui marque l’esprit en redessinant une enfance où les sentiments sont à échelle humaine, les préoccupations immédiates et les amours pudiques. Sylvestre Clancier sait débusquer « ce bonheur bleu derrière la porte » et parcourir « le monde qui est dans sa main » avec cette part essentielle de tendresse qui soude les instants et gouverne les inclinations.

« Il faut l’adresse du funambule
Et la tendresse du poète
Pour suspendre le temps qu’accomplirait l’instant
En remettant ces rêves sur de meilleurs chemins. »

Le blanc domine ici. L’âme et la neige s’y rassemblent avec l’élan du
désir pour colorer l’ensemble.

« Femmes…
C’est encore vous en plein soleil au balcon à midi
A qui mon cœur fait signe quand vos rires hirondelles
S’envolent dans le bourg au printemps par dessus les murs »

Dans la poésie de Sylvestre Clancier, on s’abrite sous un espace quotidien où la chaleur des mots rejoint quelque part celle des corps.

©Jean Chatard

Note de lecture in Les Hommes sans épaules, n° 20, second semestre 2005.